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d’une veuve affligée ; et cette étourdie-ci rit toujours. Il faut que je donne des gouttes d’Angleterre à l’une, et de l’opium à l’autre.

LA COMTESSE.

Hélas ! madame, vous me traitez de veuve ; il est trop vrai que je le suis. Nous m’avez mariée, et je n’ai point de mari : monsieur le comte s’est mis dans la tête qu’il dérogerait s’il m’aimait. J’ai le malheur de respecter des nœuds qu’il néglige, et de l’aimer parce qu’il est mon mari, comme il me méprise parce que je suis sa femme : je vous avoue que j’en suis inconsolable.

LA PRÉSIDENTE.

Votre mari est un jeune fat, et toi, une sotte, ma chère fille : je n’ai point de remèdes pour des cas si désespérés. Le comte ne vous voit point du tout la nuit, rarement le jour. Je sais bien que l’affront est sanglant ; mais enfin c’est ainsi que M. le président en use avec moi depuis quinze ans : vois-tu que je m’arrache les cheveux pour cela ?

FANCHON.

La chose est un peu différente : pour moi, si j’étais à la place de ma sœur aînée, je sais bien ce que je ferais.

LA PRÉSIDENTE.

Eh quoi, coquine ?

FANCHON.

Ce qu’elle est assez sotte pour ne pas faire.

LE PRÉSIDENT.

J’ai beau observer, je me donne le torticolis, et je ne découvre rien. Je vois bien que vous êtes plus habile que moi : oui, vous êtes venu tout à propos pour me tirer de bien des embarras.

LE CHEVALIER.

Il n’y a rien que je ne voulusse faire pour vous.

LE PRÉSIDENT.

Vous voyez, monsieur, mes deux filles : l’une est malheureuse parce qu’elle a un mari ; et celle-ci commence à l’être parce qu’elle n’en a point. Mais ce qui me désoriente et me fait voir des étoiles en plein midi…

FANCHON.

Eh bien ! mon père ?

LE CHEVALIER.

Eh bien ! monsieur ?

LE PRÉSIDENT.

C’est que le mari qui est destiné à ma fille cadette…

FANCHON.

Un mari, mon père !