Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
LETTRES SUR ŒDIPE.

plus pour avouer mes défauts que pour les excuser ; mais aussi je traiterai Sophocle et Corneille avec autant de liberté que je me traiterai avec justice.

J’examinerai les trois Œdipes avec une égale exactitude. Le respect que j’ai pour l’antiquité de Sophocle et pour le mérite de Corneille ne m’aveuglera pas sur leurs défauts ; l’amour-propre ne m’empêchera pas non plus de trouver les miens. Au reste, ne regardez point ces dissertations comme les décisions d’un critique orgueilleux, mais comme les doutes d’un jeune homme qui cherche à s’éclairer. La décision ne convient ni à mon âge, ni à mon peu de génie ; et si la chaleur de la composition m’arrache quelques termes peu mesurés, je les désavoue d’avance, et je déclare que je ne prétends parler affirmativement que sur mes fautes.


LETTRE III
contenant la critique de l’Œdipe de Sophocle[1].

Monsieur, mon peu d’érudition ne me permet pas d’examiner « si la tragédie de Sophocle fait son imitation par le discours, le nombre et l’harmonie ; ce qu’Aristote appelle expressément un discours agréablement assaisonné[2] ». Je ne discuterai pas non plus « si c’est une pièce du premier genre, simple et implexe : simple parce qu’elle n’a qu’une simple catastrophe ; et implexe, parce qu’elle a la reconnaissance avec la péripétie ».

Je vous rendrai seulement compte avec simplicité des endroits qui m’ont révolté, et sur lesquels j’ai besoin des lumières de ceux qui, connaissant mieux que moi les anciens, peuvent mieux excuser tous leurs défauts.

La scène ouvre, dans Sophocle, par un cœur de Thébains prosternés au pied des autels, et qui, par leurs larmes et par leurs cris, demandent aux dieux la fin de leurs calamités. Œdipe, leur libérateur et leur roi, paraît au milieu d’eux.

« Je suis Œdipe, leur dit-il, si vanté par tout le monde. » Il y a quelque apparence que les Thébains n’ignoraient pas qu’il s’appelait Œdipe.

  1. Sophocle est mieux apprécié par Voltaire dans l’Épître dédicatoire à la duchesse du Maine, qui est en tête d’Oreste. Une critique de cette troisième lettre parut en 1719 ; voyez le n° V de ma note, page 9. (B.)

  2. M. Dacier, préface sur l’Œdipe de Sophocle.