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LETTRES SUR ŒDIPE.

coupable, et qu’il a reconnu la calomnie lorsque le temps a permis qu’il pût la découvrir.

Je ne regarde point non plus cette grâce que monseigneur le duc d’Orléans m’a faite comme une récompense de mon travail, qui ne méritait tout au plus que son indulgence ; il a moins voulu me récompenser que m’engager à mériter sa protection[1].

Sans parler de moi, c’est un grand bonheur pour les lettres que nous vivions sous un prince qui aime les beaux-arts autant qu’il hait la flatterie, et dont on peut obtenir la protection plutôt par de bons ouvrages que par des louanges, pour lesquelles il a un dégoût peu ordinaire dans ceux qui, par leur naissance et par leur rang, sont destinés à être loués toute leur vie.

LETTRE II

Monsieur, avant que de vous faire lire ma tragédie, souffrez que je vous prévienne sur le succès qu’elle a eu, non pas pour m’en applaudir, mais pour vous assurer combien je m’en défie.

Je sais que les premiers applaudissements du public ne sont pas toujours de sûrs garants de la bonté d’un ouvrage. Souvent un auteur doit le succès de sa pièce ou à l’art des acteurs qui la jouent, ou à la décision de quelques amis accrédités dans le monde, qui entraînent pour un temps les suffrages de la multitude ; et le public est étonné, quelques mois après, de s’ennuyer à la lecture du même ouvrage qui lui arrachait des larmes dans la représentation.

Je me garderai donc bien de me prévaloir d’un succès peut-être passager, et dont les comédiens ont plus à s’applaudir que moi-même.

On ne voit que trop d’auteurs dramatiques qui impriment à la tête de leurs ouvrages des préfaces pleines de vanité ; « qui comptent les princes et les princesses qui sont venus pleurer aux représentations ; qui ne donnent d’autres réponses à leurs censeurs que l’approbation du public » ; et qui enfin, après s’être placés à côté de Corneille et de Racine, se trouvent confondus dans la foule des mauvais auteurs, dont ils sont les seuls qui s’exceptent.

J’éviterai du moins ce ridicule ; je vous parlerai de ma pièce

  1. Dans les éditions de 1719, on lisait de plus ici cette phrase : « L’envie de lui plaire me tiendra lieu désormais de génie. » (B.)