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ACTE I. SCÈNE II.

Sénateurs, arrêtez, ne vous séparez pas :
Je ne me suis pas plaint de tous vos attentats.
La fille de Tarquin, dans vos mains demeurée,
Est-elle une victime à Rome consacrée ?
Et donnez-vous des fers à ses royales mains
Pour mieux braver son père et tons les souverains ?
Que dis-je ! tous ces biens, ces trésors, ces richesses,
Que des Tarquins dans Rome épuisaient les largesses.
Sont-ils votre conquête, ou vous sont-ils donnés ?
Est-ce pour les ravir que vous le détrônez ?
Sénat, si vous l’osez, que Brutus les dénie.

BRUTUS, se tournant vers Arons.

Vous connaissez bien mal et Rome et son génie.
Ces pères des Romains, vengeurs de l’équité.
Ont blanchi dans la pourpre et dans la pauvreté :
Au-dessus des trésors, que sans peine ils vous cèdent,
Leur gloire est de dompter les rois qui les possèdent[1].
Prenez cet or, Arons ; il est vil à nos yeux.
Quant au malheureux sang d’un tyran odieux.
Malgré la juste horreur que j’ai pour sa famille,
Le sénat à mes soins a confié sa fille :
Elle n’a point ici de ces respects flatteurs
Qui des enfants des rois empoisonnent les cœurs :
Elle n’a point trouvé la pompe et la mollesse
Dont la cour des Tarquins enivra sa jeunesse :
Mais je sais ce qu’on doit de bontés et d’honneur
À son sexe, à son âge, et surtout au malheur.
Dès ce jour, en son camp que Tarquin la revoie :
Mon cœur même en conçoit une secrète joie :
Qu’aux tyrans désormais rien ne reste en ces lieux
Que la haine de Rome et le courroux des dieux.
Pour emporter au camp l’or qu’il faut y conduire,
Rome vous donne un jour : ce temps doit vous suffire :
Ma maison cependant est votre sûreté :
Jouissez-y des droits de l’hospitalité.
Voilà ce que par moi le sénat vous annonce.
Ce soir à Porsenna rapportez ma réponse :
Reportez-lui la guerre, et dites à Tarquin

  1. Curius repond aux ambassadeurs des Samnitos, qui lui offraient des richesses :
    J’aime mieux commander à ceux qui les possèdent.