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m DISCOURS

I parlent plus aux yeux : les Français donnent plus h l’élégance, à j l’harmonie, aux charmes des vers. Il est certain qu’il est plus dif- ficile de hien écrire que de mettre sur le théâtre des assassinats, des roues, des potences, des sorciers, et des revenants. Aussi la tragédie de Caton, qui fait tant d’honneur à M. Addison, votre suc- cesseur dans le ministère, cette tragédie, la seule hien écrite d’un bout à l’autre chez votre nation, à ce que je vous ai entendu dire à vous-même, ne doit sa grande réputation qu’à ses beaux vers, c’est-à-dire à des pensées fortes et vraies, exprimées en vers har- monieux. Ce sont les beautés de détail qui soutiennent les ouvrages en vers, et qui les font passer à la postérité. C’est souvent la 1 manière singulière de dire des choses communes ; c’est cet art I d’embellir par la diction ce que pensent et ce que sentent tous ’ les hommes, qui fait les grands poètes. Il n’y a ni sentiments recherchés, ni aventure romanesque dans le quatrième livre de Virgile ; il est tout naturel, et c’est l’effort de l’esprit humain. M, Racine n’est si au-dessus des autres qui ont tous dit les mêmes choses que lui que parce qu’il les a mieux dites. Corneille n’est véritablement grand ([ue (juand il s’exprime aussi bien ((u’il pense. Souvenons-nous de ce précepte de Despréaux {Art poêt., ill, 157-58) :

Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,

De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.

Voilà ce que n’ont point tant d’ouvrages dramatiques, que l’art d’un acteur, et la figure et la voix d’une actrice ont fait valoir sui- nos théâtres. Combien de pièces mal écrites ont eu plus de repré- sentations que Ciniia et Britaiviicusl Mais on n’a jamais retenu deux vers de ces faibles poèmes, au lieu qu’on sait une [)ai’tie de Britannicm et de Ciiuia par cœur. En vain le Régiilus de Pradon a fait verser des larmes par quelques situations touchantes ; cet ouvrage et tous ceux (fui lui ressiMublenf sont méprisés, tandis (|ue leurs auteurs s’ap|)lau(lisseid dans leurs pi-(faces.

De Cnniniir.

Des critiques judicieux pourraient me demander pourquoi j’ai parlé d’amour dans une tragédie dont le titre cstJmuus Brutun ; pounpioi j’ai mêlé cette passion avec l’austère vertu du sénat romain et la politi([ue d’un ambassadeur.

Ou reproche à notre nation d’avoir amolli le tbéàtre par trop