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318 DISCOURS

corps sanglant de César y fût exposé aux yeux du jK’uple, et ({u’on excitât ce peuple à la vengeance, du haut de la tribune aux harangues : c’est à la coutume, qui est la reine de ce monde, à changer le goût des nations, et à tourner en plaisir les objets l de notre aversion.

SpccUuics horrihics chez les Grecs.

Les Grecs ont hasardé des spectacles non moins révoltants pour nous. Hippolyte, brisé par sa cliute, vient compter ses bles- sures et pousser des cris douloureux. IMiiloctète tondje dans ses accès de souflfrance ; un sang noir coule de sa plaie. OEdipe, cou- vert du sang qui dégoutte encore des restes de ses yeux qu’il vieid d’arracher, se plaint des dieux et des hommes. On entend les cris de Clytemnestre que son propre hls égorge ; et Electre crie sur le théâtre : « Fi’appez, ne l’épargnez pas, elle n’a pas épargné notre père. » Prométhée est attaché sur un rocher avec des clous qu’on hii enfonce dans l’estomac et dans les bras. Les furies répondent à rond)re sanglante de Clytemnestre par des hurlements sans aucune articulation. Beaucoup de tragédies grecques, en un mot, sont remplies de cette terreur portée à l’excès.

Je sais bien que les tragiques grecs, d’ailleurs supérieurs aux anglais, ont erré en prenant souvent l’horreur pour la terreur. V et le dégoûtant et l’incroyable pour le tragique et le merveilleux. L’art était dans son enfance du temps d’Eschyle, connue à Londres du tenq)s de Shakespeare ; mais, parmi les grandes fautes des poètes grecs, et même des vôtres, on trouve un vrai pathétique et de singulières beautés ; et, si quelques Français qui ne conuaissenf les tragédies et les mœurs étrangères (|ue par des traductions et sur des oui-dire les condamnent sans aucune restriction, ils sont. ce me send)le, comme des aveugles (pii assureraient ([u’une rose ne peut ; i\oir de couleurs vives |)arce qu’ils en compterai(Mil les épines à tâtons. Mais si les Grecs et vous, vous passez les bornes de la bienséance, et si les Anglais surtout ont donné des spectacles ellroNables, voulant en donner de terribles, nous autres Fran- çais, aussi scrupuleux que vous a\(’z été téméraires, nous nous arrêtons trop, de peur de nous enq)orter : et ([uel([uefois nous n’arrivons |)as au tragi(iue. dans la crainte d’en passer les bornes.

Je suis bien loin de proposer (pu’ la scène devienne un lieu de carnage, comme elle l’est dans Sliakes|)eare et dans ses succes- seurs, ([ni, n’ayant pas son génie, n’ont inuté (]ue ses défauts ; mais j’ose croire (pi’il \ a des situations ([ui neparaissent encore

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