Voltaire a imité ce morceau :
Terminez mes forfaits, mon désespoir, ma vie, etc.
mais combien l’élève surpasse le maitre ! Cela n’empêche pas qu’il ne lui ait obligation. Il lui doit aussi ce dernier vers qui termine si bien la tragédie de Brutus :
Rome est libre, il suffit… Rendons gràces aux dieux !
Mais il enchérit toujours sur le modèle. Le Brutus latin dit seulement, lorsqu’on lui annonce la mort de son fils : « Je suis content. Rome est vengée. » La beauté consiste dans ce premier sentiment donne tout entier à la patrie, et c’est là ce que Voltaire a emprunté ; car d’ailleurs « Rome est libre » a bien une autre étendue et une autre force d’idée que « Rome est vengée », et « Rendons gràces aux dieux ! » est sublime.
Enfin, il parait que Crébillon avait fait aussi dans sa jeunesse une tragédie de la Mort des enfants de Brutus, et c’est la ce qui explique peut-être les projets de cabale que nous avons vu Voltaire prêter à ce poëte. Nous lisons du moins dans les Annales dramatiques : « Le jeune Crébillon, sur les conseils du procureur Prieur chez qui il était clerc, tenta de faire une tragédie : il choisit pour son coup d’essai le sujet de la Mort des enfants de Brutus. Les comédiens à qui il alla la présenter la refusèrent ; et pour ne rien dissimuler, non-seulement elle n’était pas bonne, mais encore quoiqu’on y découvrit assez de talent pour la versification, elle n’annonçait pas que son auteur pût devenir un jour un très-grand poëte. Cette pièce existait encore il y a trente ans (ceci est écrit en 1775) ; on l’avait retrouvée tout entière dans des papiers qu’il avait mis au rebut ; et comme on prévoyait ce qu’il voudrait en faire, si on lui eut annoncé la découverte, on se garda bien de l’en instruire ; mais le hasard la lui ayant fait rencontrer sous sa main, il la brûla. » Il est donc bien peu probable qu’il ait pu éprouver du mecontentement à voir Voltaire traiter le même sujet.
On s’est étonné que Brutus, à l’origine. ne produisit aucune sensation politique. C’est qu’il était, à l’époque où il parut, entièrement dépourvu d’actualité. Le culte monarchique n’était nullement entamé, et ce n’était que par un effort d’intelligence historique que l’on pouvait comprendre et admirer les vertus républicaines de l’ancienne Rome. Brutus, au contraire, devint une pièce de circonstance quand la lutte entre les idées républicaines et les idées monarchiques commença.
« Depuis longtemps. une partie du public, racontent Étienne et Martainville[1], sollicitait vivement la reprise de Brutus, tragédie de Voltaire, et les comédiens se rendirent enfin à ses vœux le 17 novembre 1790. La crainte que cette représentation ne fût très-orageuse détermina les officiers munici-
- ↑ Histoire du Théâtre-Français depuis le commencement de la Révolution jusqu’à la réunion générale, t. I, p. 19.