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de décider du sort des coupables. L’amour de la patrie, étouffant tout autre sentiment dans le cœur de Brutus, il refuse la grâce que le sénat veut accorder à ses fils : et Tullie, par un coup de poignard, prévient ses reproches et va rejoindre ses adorateurs.

On trouve dans cette pièce quelques vers assez beaux. Apres avoir condamné ses fils, Brutus dit :

Laisse-moi soupirer, tyrannique vertu ;
Je t’ai donné mes fils, Rome, que me veux-tu ?
J’ai donné tout mon sang à tes moindres alarmes ;
Souffre qu’à tout mon sang je donne quelques larmes.

JUNIE.
Qu’as-tu fait de ton sang, Brutus ?

BRUTUS.
Je l’ai versé.
Femme, viens achever ce que j’ai commencé.

JUNIE,
Rends-moi mes fils, cruel.

BRUTUS.
Ils ont perdu la vie

Fuis de moi, femme, fuis ; et, cachant tes douleurs,
Souviens-toi qu’un Romain punit jusques aux pleurs.

Souffre que mes neveux adorent ma mémoire ;
Et qu’ils disent de moi, voyant ce que je fis :
Il fut père de Rome, et plus que de ses fils.

Mlle Catherine Bernard, parente des Corneille et de Fontenelle, donna, en 1690, un Brutus avec l’aide de Fontenelle. Il réussit également et n’eut pas moins de vingt-cinq représentations, ce qui était considérable en ce temps-là. « Cet ouvrage, dit Laharpe, n’a pas été inutile à Voltaire : il en a pu emprunter son personnage d’ambassadeur, et il a évidemment imité quelques endroits. »

On y trouve une double intrigue d’amour. Les deux fils de Brutus sont amoureux d’une Aquilie, fille d’Aquilius, chef de la conspiration en faveur des rois bannis : et une Valérie, sœur du consul Valérius, est amoureuse de Titus qui ne l’aime point. On se doute bien qu’au milieu de tous ces amours traités dans la manière des romans, le génie de Rome et le ton du sujet ont entièrement disparu. L’idée qu’a eue Voltaire de rendre Titus amoureux d’une fille de Tarquin est bien supérieure. Il n’y a pas moins de distance entre l’audience solennelle donnée dans le sénat romain à l’envoyé de Porsenna, et la scène où les deux consuls reçoivent Octavius, qui joue dans la pièce de Mlle Bernard le même rôle qu’Arons dans celle de Voltaire. Mais ces deux personnages commencent leur discours à peu près de même pour le fond des idées :

OCTAVIUS.

……… Consuls, quelle est ma joie
De parler devant vous pour le roi qui m’envoie,