Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/268

Cette page n’a pas encore été corrigée

248 L’INDISCRET.

DAMIS.

Je ne sais où peut tendre un si long préambule.

EUPHÉMIE.

Jo vois qu'il vous parait injuste et ridicule ; Vous méprisez des soins pour vous bien importants : Vous m’en croirez un jour : il n’en sera plus temps. Vous êtes indiscret - ma trop longue indulgence Pardonna ce défaut au feu de votre enfance : Dans un âge plus mûr il cause ma frayeur. Vous avez des talents, de l’esprit et du cœur : Mais croyez qu’en ce lieu tout rempli d’injustices. Il n’est point de vertu qui rachète les vices, Qu’on cite nos défauts en toute occasion, Que le pire de tous est l’indiscrétion. Et qu’à la cour, mon fils, l’art le plus nécessaire N’est pas de bien parler, mais de savoir se taire. Ce n’est pas en ce lieu que la société Permet ces entretiens remplis de liberté : Le plus souvent ici l’on parle sans rien dire : Et les plus ennuyeux savent s’y mieux conduire. Je connais cette cour : on peut fort la blâmer ; Mais lorsqu’on y demeure, il faut s’y conformer : Pour les femmes surtout, plein d’un égard extrême. Parlez-en rarement, encor moins de vous-même. Paraissez ignorer ce qu’on fait, ce qu’on dit : Cachez vos sentiments, et même votre esprit : Surtout de vos secrets soyez toujours le maître : Qui dit celui d’autrui doit passer pour un traître : Qui dit le sien, mon fils, passe ici pour un sot. Qu'avez-vous à répondre à cela ?

DAMIS.

Pas le mot ; Je suis de votre avis : je hais le caractère De quiconque n’a pas le pouvoir de se taire : Ce n’est pas là mon vice, et, loin d'être entiché Du défaut qui par vous m’est ici reproché. Je vous avoue enfin, madame, en confidence Qu’avec vous trop longtemps j"ai gardé le silence Sur un fait dont pourtant j’aurais dû vous parler : Mais souvent dans la vie il faut dissimuler. Je suis amant aimé d'une veuve adorable. Jeune, charmante, riche, aussi sage qu'aimable ;