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INTRODUCTION.


portait alors d’innovation littéraire : Adélaïde du Guesclin, Alzire, l’Orphelin de la Chine, Tancrède, Sémiramis.

Voltaire remua avec une prodigieuse activité le vieux champ de la tragédie, et lui fit porter des moissons nouvelles. On ne peut se figurer quelle admiration, quel enthousiasme obtinrent, dans les générations qui vinrent immédiatement après lui, ces pièces aujourd’hui trop oubliées et dédaignées.

Lisez par exemple, dans une publication importante, les Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres en neuf volumes (1812), l’article Voltaire. Voltaire, comme poëte dramatique, y est placé résolument au-dessus de Corneille et de Racine :

« Corneille, Racine, Crébillon, dit l’auteur de cet article, n’ont guère songé, en composant leurs pièces, ni à corriger les mœurs ni à éclairer les spectateurs. Ils se sont bornés à rendre le crime odieux, sans faire aimer la vertu : et, suivant tout bonnement l’instinct de leur génie ou la voie de leur intérêt, ils ont fait des tragédies uniquement pour faire des tragédies. Quelques-unes même de leurs pièces sont une école de mauvaises mœurs. Voltaire s’est presque toujours proposé un but moral, et n’a cherché à faire pleurer que pour attendrir les humains sur les malheurs de la vertu et exciter l’indignation contre le crime. Dans Sémiramis, il nous inspire la plus profonde horreur pour les crimes secrets ; Zaïre nous fait voir les suites funestes de la jalousie ; Adélaïde du Guesclin, l’empire de l’amitié fraternelle sur les cœurs honnêtes ; Tancrède, les dangers de la calomnie ; l’Orphelin de la Chine, les avantages d’un peuple civilisé sur un peuple barbare ; Brutus, le respect que l’on doit aux lois de son pays, et Mahomet les fureurs du fanatisme. Cette tragédie de Mahomet, quoiqu’elle ne soit pas conforme à l’histoire et quoique le caractère de Mahomet soit visiblement altéré, est, selon nous, la plus grande leçon qu’on puisse donner aux peuples ; c’est la plus grande preuve de la sublimité du génie de Voltaire. Disons-le au risque de déplaire à quelques enthousiastes : Racine est le peintre des femmes, Voltaire, celui des hommes. Phèdre, Roxane, Hermione, etc., sont tracées de main de maître et avec une supériorité que personne ne conteste ; mais ce qui est incontestable aussi, c’est que les portraits des héros de Racine sont, en général, un peu négligés, et que les héros des tragédies de Voltaire, Orosmane, Gengis-Khan, Zamore, Vendôme, Tancrède et Mahomet sont, au contraire, admirablement dessinés. Voltaire, en peignant les passions des hommes, a la même supériorité que Racine lorsqu’il peint les passions des femmes.

« Après avoir comparé Voltaire aux tragiques français ses compatriotes, qu’il nous soit permis de jeter un coup d’œil rapide sur les imitations qu’il a faites des anciens. Il a débuté dans la carrière dramatique, à l’âge de dix-huit ans, par la tragédie d’Œdipe. Voyez l’Œdipe de Sophocle et celui de Sénèque. Corneille avait manqué ce sujet difficile. Voltaire osa le traiter après le père de notre tragédie, et triompha tout à la fois de Sophocle, de Sénèque et de Corneille.

« Il a puisé dans l’Othello de Shakespeare le sujet de sa tragédie de Zaïre ; il l’emporte encore sur l’Anglais. Cette tragédie de Voltaire a été