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v
INTRODUCTION.


Molière l’explique dans son poëme de la Gloire du Val-de-grâce, les uns peignent la fresque :

Avec elle il n’est point de retour à tenter,
Et tout, au premier coup, se doit exécuter ;


les autres procèdent par retouches, et il est certain que Voltaire, esprit d’ailleurs partout si facile, est de ceux-ci quand il travaille pour le théâtre, et l’on s’en apercevra bien à la quantité presque toujours considérable de variantes dont il faut faire suivre le texte de ses pièces. Cela permettait à Piron de dire avec fatuité : « Voltaire travaille en marqueterie, et moi, je coule en bronze » ; mot qui nous fait sourire aujourd’hui.

Mais ce n’est pas tout d’avoir remanié sa pièce scène par scène : il faut la faire jouer. Que de circonstances dans une vie si agitée viennent ajourner la représentation ! Que d’allées et de venues, de mécomptes ! que de combats à livrer ! Les amis critiquent, les acteurs se querellent, les censeurs s’effrayent et hésitent. El lorsque les dernières difficultés sont surmontées, les répétitions exigent de nouveaux soins, de nouvelles fatigues. Voltaire y était curieux à observer. La vivacité de son caractère s’y déployait. Il ne pouvait se contenir quand on rendait mal sa pensée ; il avait d’étonnantes façons de stimuler et de reprendre les interprètes faibles ou exagérés. Beaucoup d’anecdoctes ont été recueillies à ce sujet par la tradition. Pendant les répétitions de Mérope, Voltaire n’était pas content du jeu de Mlle  Dumesnil dans la scène avec Cresphonte, au quatrième acte. Aux observations qu’il lui fit l’actrice repartit : « Il faudrait avoir le diable au corps pour arriver au ton que vous voulez me faire prendre. — Eh ! vraiment oui, mademoiselle, riposta Voltaire ; c’est le diable au corps qu’il faut avoir pour exceller dans tous les arts ! »

Le comédien Legrand, chargé du rôle d’Omar, dans Mahomet, ayant au deuxième acte à peindre l’effet que l’arrivée du prophète produit sur le sénat de la Mecque, dit :

Au milieu de leurs cris, le front calme et serein,
Mahomet marche en maître, et l’olive à la main ;
La trêve est publiée, et le voici lui-même.

En entendant l’acteur réciter ces vers du ton le plus plat. Voltaire s’écria : « Oui, oui, Mahomet arrive ; c’est comme si l’on disait : Rangez-vous, voilà la vache ! »

Rappelez-vous le récit que fait Lekain de sa visite à Ferney, après les représentations de l’Orphelin de la Chine. Le succès que le tragédien, alors au commencement de sa carrière, avait eu à Paris dans le rôle de Gengis-Khan fit souhaiter à l’auteur de lui voir interpréter ce personnage ; Lekain s’empressa de céder à ce désir : il se mit à déclamer son rôle avec toute l’énergie tartarienne, comme lui-même le dit. À peine Voltaire eut-il entendu ces éclats de voix, ces accents furieux, que l’indignation et la colère se peignirent dans ses traits. « Arrêtez ! s’écria-t-il, arrêtez !… le