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iv
INTRODUCTION.


l’incompréhensible courroux des dieux, et qu’elle est en cela un drame religieux, la pièce de Voltaire conclut nettement à la révolte :

Honorez mon bûcher,

dit Jocaste,
Et songez à jamais
Qu’au milieu des horreurs du destin qui m’opprime
J’ai fait rougir les dieux qui m’ont forcée au crime.

Voltaire, dès ce début précoce, est tout entier lui-même. Il semble avoir déjà conçu la tragédie comme une machine de guerre, et, dans les œuvres moins heureuses qui suivent Œdipe, il continue, comme il le fera toute sa vie, à semer de ces vers audacieux qui se gravent aisément dans les esprits.

Sa jeunesse, la sève et la vie qui l’animaient, se découvrent principalement dans les anecdotes qui courent à son sujet : à la représentation d’Œdipe, on dit qu’il trouva plaisant de se montrer sur le théâtre, portant la queue du grand-prêtre, et risquant par cette espièglerie de compromettre le succès de son ouvrage. Lorsque Artémire est sifflée, il s’élance sur la scène, court à la rampe, harangue le parterre. Le bruit s’apaise ; on l’écoute et on l’applaudit, et la pièce peut suivre son cours et arriver tant bien que mal jusqu’à la fin. Plus singulière encore est l’historiette du président Bouhier racontant que Voltaire monta une cabale pour empêcher de jouer une seconde fois cette malheureuse Artémire, et que la garde dut le jeter hors du parterre par les épaules.

Ces traits pourraient faire croire à quelque insouciance, et c’était, au contraire, une passion extrême qui l’animait ; il travaillait ses pièces avec un véritable acharnement, comme il travaillait à toutes choses. Il refaisait deux ou trois fois chacune d’elles.

Le critique Geoffroy, avec la perspicacité d’un ennemi, a bien fait ressortir la manière dont Voltaire travaillait ses tragédies :

« Dès que Voltaire avait choisi un sujet de tragédie, il jetait rapidement sur le papier les scènes telles qu’elles se présentaient à son imagination échauffée. La besogne était expédiée et la tragédie faite ordinairement en trois semaines ou un mois. Il envoyait ensuite ce croquis à ses anges, c’est-à-dire au comte d’Argental, et surtout à la comtesse, qu’il appelait Mme  Scaliger à cause des grands commentaires qu’elle faisait sur les impromptus et les prestos tragiques qu’il offrait à sa censure. Si les remarques lui semblaient justes, il corrigeait, retouchait, réformait… Souvent, de lui-même, il remaniait son esquisse, il changeait des actes entiers ; il faisait de nouvelles tirades ; ce travail était bien plus long que celui de la première composition. Enfin, lorsqu’il avait satisfait son conseil privé et lui-même, il s’occupait de la représentation, et c’était là une source de combinaisons profondes. »

Il y a du vrai dans ce que dit là Geoffroy, et l’on peut très-bien n’y voir qu’un renseignement curieux, malgré l’intention satirique qui animait le critique. Les poètes, comme les peintres, ont des procédés différents : comme