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ŒDIPE.

Et d’un oracle faux ne vous alarmez plus.
Seigneur, vous le savez, j’eus un fils de Laïus.
Sur le sort de mon fils ma tendresse inquiète
Consulta de nos dieux la fameuse interprète.
Quelle fureur, hélas ! De vouloir arracher
Des secrets que le sort a voulu nous cacher !
Mais enfin j’étais mère, et pleine de faiblesse ;
Je me jetai craintive aux pieds de la prêtresse :
Voici ses propres mots, j’ai dû les retenir :
Pardonnez si je tremble à ce seul souvenir.
« Ton fils tuera son père, et ce fils sacrilége,
Inceste et parricide… » ô dieux ! Achèverai-je ?

Œdipe.

Eh bien ! Madame ?

Jocaste.

Eh bien ! Madame ?Enfin, seigneur, on me prédit
Que mon fils, que ce monstre entrerait dans mon lit :
Que je le recevrais, moi, seigneur, moi sa mère,
Dégouttant dans mes bras du meurtre de son père ;
Et que, tous deux unis par ces liens affreux,
Je donnerais des fils à mon fils malheureux.
Vous vous troublez, seigneur, à ce récit funeste ;
Vous craignez de m’entendre et d’écouter le reste.

Œdipe.

Ah ! Madame, achevez : dites, que fîtes-vous
De cet enfant, l’objet du céleste courroux ?

Jocaste.

Je crus les dieux, seigneur ; et, saintement cruelle,
J’étouffai pour mon fils mon amour maternelle.
En vain de cet amour l’impérieuse voix
S’opposait à nos dieux, et condamnait leurs lois ;
Il fallut dérober cette tendre victime
Au fatal ascendant qui l’entraînait au crime,
Et, pensant triompher des horreurs de son sort,
J’ordonnai par pitié qu’on lui donnât la mort.
Ô pitié criminelle autant que malheureuse !
Ô d’un oracle faux obscurité trompeuse !
Quel fruit me revient-il de mes barbares soins
Mon malheureux époux n’en expira pas moins ;
Dans le cours triomphant de ses destins prospères
Il fut assassiné par des mains étrangères :
Ce ne fut point son fils qui lui porta ces coups ;