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ŒDIPE.

Jocaste.

Je vous l’ai déjà dit, un seul suivait ses pas.

Œdipe.

Un seul homme ?

Jocaste.

Un seul hCe roi, plus grand que sa fortune[1],
Dédaignait comme vous une pompe importune ;
On ne voyait jamais marcher devant son char[2]
D’un bataillon nombreux le fastueux rempart ;
Au milieu des sujets soumis à sa puissance,
Comme il était sans crainte, il marchait sans défense ;
Par l’amour de son peuple il se croyait gardé.

Œdipe.

Ô héros ! Par le ciel aux mortels accordé,
Des véritables rois exemple auguste et rare !
Œdipe a-t-il sur toi porté sa main barbare ?
Dépeignez-moi du moins ce prince malheureux.

Jocaste.

Puisque vous rappelez un souvenir fâcheux,
Malgré le froid des ans, dans sa mâle vieillesse,
Ses yeux brillaient encor du feu de la jeunesse ;
Son front cicatrisé sous ses cheveux blanchis[3]
Imprimait le respect aux mortels interdits ;
Et si j’ose, seigneur, dire ce que j’en pense,
Laïus eut avec vous assez de ressemblance ;
Et je m’applaudissais de retrouver en vous,
Ainsi que les vertus, les traits de mon époux.
Seigneur, qu’a ce discours qui doive vous surprendre ?

Œdipe.

J’entrevois des malheurs que je ne puis comprendre :

  1. La première fois que l’empereur Joseph II parut la Comédie-Française, à Paris en 1777, on donnait Œdipe, et le public lui appliqua ce vers. (K.)
  2. La Grange-Chancel, dans son Épître à Voltaire, dit sur cette rime :


    Jamais un écrivain habile dans son art
    Ne fit rimer les mots de char et de rempart. (B.)

  3. Toutes les éditions portent cicatrisé ; mais on n’a pas pris garde que cicatrisé se dit d’une plaie qui commence à se fermer, au lieu que cicatricé signifie couvert de cicatrices. C’est dans ce sens que Boileau a dit dans son Épître IV :

    Son front cicatricé rend son air furieux.


    Voyez à cet égard, dans les éditions de Boileau de 1747, 1772 et 1812, les remarques judicieuses des éditeurs MM. Brossette, de Saint-Marc et Daunou. (Note de M. Miger.) — Cette observation est très-bonne ; mais chargé de reproduire Voltaire et non de le corriger, j’ai conservé le mot qu’il a employé. (B.) Le mot cicatricé est inusité.