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ŒDIPE.

Foulant par piété les plus saintes des lois,
Croit honorer les dieux en trahissant ses rois ;
Surtout quand l’intérêt, père de la licence,
Vient de leur zèle impie enhardir l’insolence.

Œdipe.

Ah ! Seigneur, vos vertus redoublent mes douleurs :
La grandeur de votre âme égale mes malheurs ;
Accablé sous le poids du soin qui me dévore,
Vouloir me soulager, c’est m’accabler encore.
Quelle plaintive voix crie au fond de mon cœur ?
Quel crime ai-je commis ? Est-il vrai, dieu vengeur ?

Jocaste.

Seigneur, c’en est assez, ne parlons plus de crime ;
À ce peuple expirant il faut une victime ;
Il faut sauver l’état, et c’est trop différer.
Épouse de Laïus, c’est à moi d’expirer ;
C’est à moi de chercher sur l’infernale rive
D’un malheureux époux l’ombre errante et plaintive ;
De ses mânes sanglants j’apaiserai les cris ;
J’irai… puissent les dieux, satisfaits à ce prix,
Contents de mon trépas, n’en point exiger d’autre,
Et que mon sang versé puisse épargner le vôtre !

Œdipe.

Vous, mourir ! Vous, madame ! Ah ! N’est-ce point assez
De tant de maux affreux sur ma tête amassés ?
Quittez, reine, quittez ce langage terrible ;
Le sort de votre époux est déjà trop horrible,
Sans que, de nouveaux traits venant me déchirer,
Vous me donniez encor votre mort à pleurer.
Suivez mes pas, rentrons ; il faut que j’éclaircisse
Un soupçon que je forme avec trop de justice.
Venez.

Jocaste.

Venez.Comment, seigneur, vous pourriez…

Œdipe.

Venez.Comment, seigneur, vous pourriezSuivez-moi,
Et venez dissiper ou combler mon effroi.



FIN DU TROISIÈME ACTE.