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iii
INTRODUCTION.


la double confidence entre Œdipe et Jocaste, tirée en partie de Sophocle, tout à fait insipide. En un mot, les acteurs, qui étaient dans ce temps-là petits-maîtres et grands seigneurs, refusèrent de représenter l’ouvrage.

« J’étais extrêmement jeune ; je crus qu’ils avaient raison ; je gâtai ma pièce pour leur plaire, en affadissant par des sentiments de tendresse un sujet qui les comporte si peu. Quand on vit un peu d’amour, on fut moins mécontent de moi ; mais on ne voulut point de toute cette grande scène entre Jocaste et Œdipe : on se moqua de Sophocle et de son imitateur. Je tins bon ; je dis mes raisons, j’employai des amis ; enfin ce ne fut qu’à force de protections que j’obtins qu’on jouerait Œdipe.

« Il y avait un acteur nommé Quinault (Dufresne), qui dit tout haut que, pour me punir de mon opiniâtreté, il fallait jouer la pièce telle qu’elle était, avec ce mauvais quatrième acte tiré du grec. »

Déjà, quand Voltaire écrivait ainsi à son ancien maître, ses sentiments s’étaient modifiés sur plus d’un point important depuis qu’Œdipe avait paru. Il suffit de lire les lettres dont il fit précéder la pièce imprimée, pour se convaincre qu’il ne trouvait pas Sophocle un si grand maître, ni qu’il ne condamnait pas aussi résolument l’idée d’introduire un peu de galanterie dans un sujet qui n’en comportait point. Mais il paraît certain que les comédiens encouragèrent cette erreur du jeune poëte.

Représenté le 18 novembre 1718, Œdipe réussit brillamment. Voltaire eut ainsi le bonheur de débuter au théâtre par un grand succès. Ce qui séduisit le public, ce fut moins peut-être la perfection de l’œuvre que certain souffle nouveau qui y courait d’un bout à l’autre, une liberté de pensée, un esprit agressif et déjà révolutionnaire, si l’on peut employer ce mot. Bien des vers durent faire tressaillir les contemporains, puisqu’ils nous frappent encore par leur hardiesse.

Qu’eussé-je été sans lui ? rien que le fils d’un roi,
Rien qu’un prince vulgaire.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un roi pour ses sujets est un dieu qu’on révère ;

Pour Hercule et pour moi, c’est un homme ordinaire.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J’ai fait des souverains et n’ai point voulu l’être.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ne nous endormons point sur la foi de leurs prêtres ;

Au pied du sanctuaire il est souvent des traîtres.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ne nous fions qu’à nous ; voyons tout par nos yeux :

Ce sont là nos trépieds, nos oracles, nos dieux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense ;

Notre crédulité fait toute leur science.

Remarquez aussi combien la conclusion du jeune auteur est différente de la conclusion de la pièce grecque. Tandis que la tragédie de Sophocle tient les spectateurs courbés sous le poids de la fatalité, et les pénètre de la crainte de