Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/108

Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
ŒDIPE.

Je vous rends la justice enfin qui vous est due,
Et que ce peuple et vous ne m’avez point rendue.
Contre vos ennemis je vous offre mon bras ;
Entre un pontife et vous je ne balance pas.
Un prêtre, quel qu’il soit, quelque dieu qui l’inspire,
Doit prier pour ses rois, et non pas les maudire.

Œdipe.

Quel excès de vertu ! Mais quel comble d’horreur !
L’un parle en demi-dieu, l’autre en prêtre imposteur.

(Au grand-prêtre.)

Voilà donc des autels quel est le privilége !
Grâce à l’impunité, ta bouche sacrilége,
Pour accuser ton roi d’un forfait odieux,
Abuse insolemment du commerce des dieux !
Tu crois que mon courroux doit respecter encore
Le ministère saint que ta main déshonore.
Traître, au pied des autels il faudrait t’immoler,
À l’aspect de tes dieux que ta voix fait parler.

Le Grand-Prêtre.

Ma vie est en vos mains, vous en êtes le maître :
Profitez des moments que vous avez à l’être ;
Aujourd’hui votre arrêt vous sera prononcé[1].
Tremblez, malheureux roi, votre règne est passé ;
Une invisible main suspend sur votre tête
Le glaive menaçant que la vengeance apprête ;
Bientôt, de vos forfaits vous-même épouvanté,
Fuyant loin de ce trône où vous êtes monté,
Privé des feux sacrés et des eaux salutaires,
Remplissant de vos cris les antres solitaires,
Partout d’un dieu vengeur vous sentirez les coups :
Vous chercherez la mort : la mort fuira de vous.
Le ciel, ce ciel témoin de tant d’objets funèbres,
N’aura plus pour vos yeux que d’horribles ténèbres :
Au crime, au châtiment, malgré vous destiné,
Vous seriez trop heureux de n’être jamais né.

Œdipe.

J’ai forcé jusqu’ici ma colère à t’entendre ;
Si ton sang méritait qu’on daignât le répandre,
De ton juste trépas mes regards satisfaits
De ta prédiction préviendraient les effets.

  1. Racine a dit dans Esther (act. III, sc. v) :

    Bientôt ton juste arrêt te sera prononcéjuste(B.)