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FANATISME.

cet acte de faussaire, comme si ce contrôle l’avait rendu authentique[1].

Un acte non signé par la partie seule intéressée, un acte signé par des inconnus, quinze jours après l’événement, un acte désavoué par des témoins véritables, était visiblement un crime de faux ; et comme il s’agissait de matière de foi, ce crime menait visiblement le curé avec ses faux témoins aux galères dans ce monde, et en enfer dans l’autre.

Le petit seigneur châtelain, qui était goguenard et point méchant, eut pitié de l’âme et du corps de ces misérables ; il ne voulut point les traduire devant la justice humaine, et se contenta de les traduire en ridicule. Mais il a déclaré que dès qu’il serait mort, il se donnerait le plaisir de faire imprimer toute cette manœuvre de son Biscayen avec les preuves, pour amuser le petit nombre de lecteurs qui aiment ces anecdotes, et point du tout pour instruire l’univers : car il y a tant d’auteurs qui parlent à l’univers, qui s’imaginent rendre l’univers attentif, qui croient l’univers occupé d’eux, que celui-ci ne croit pas être lu d’une douzaine de personnes dans l’univers entier. Revenons au fanatisme.

C’est cette rage de prosélytisme, cette fureur d’amener les autres à boire de son vin, qui amena le jésuite Castel et le jésuite Routh auprès du célèbre Montesquieu lorsqu’il se mourait. Ces deux énergumènes voulaient se vanter de lui avoir persuadé les mérites de l’attrition et de la grâce suffisante. Nous l’avons converti, disaient-ils ; c’était dans le fond une bonne âme ; il aimait fort la compagnie de Jésus. Nous avons eu un peu de peine à le faire convenir de certaines vérités fondamentales ; mais comme dans ces moments-là on a toujours l’esprit plus net, nous l’avons bientôt convaincu.

Ce fanatisme de convertisseur est si fort que le moine le plus débauché quitterait sa maîtresse pour aller convertir une âme à l’autre bout de la ville.

Nous avons vu le P. Poisson, cordelier à Paris, qui ruina son couvent pour payer ses filles de joie, et qui fut enfermé pour ses

  1. Ce quatrième acte, intitulé Profession de foi de M. de Voltaire, a été rédigé, en effet, quinze jours après les autres, c’est-à-dire le 15 avril 1769, par-devant le notaire du bailliage de Gex, et hors de la présence de Voltaire. On y fait déclarer à Voltaire qu’il croit fermement tout ce que l’Église catholique croit et confesse, qu’il croit un seul Dieu en trois personnes, qu’il croit que la seconde personne s’est faite homme, qu’il croit qu’elle s’appelle Jésus-Christ ; qu’il condamne toutes les hérésies ; qu’il jure, qu’il promet, qu’il s’engage de mourir dans cette croyance, etc., etc. ; le tout contrôlé à Gex ; reçu 15 sols. (G. A.)