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FANATISME.

désirerait qu’on nous eût désigné ces chroniques. Je n’ai point trouvé cette épithète de Clovis dans le peu de livres que j’ai vers le mont Krapack, où je demeure.

On entend aujourd’hui par fanatisme une folie religieuse, sombre et cruelle. C’est une maladie de l’esprit qui se gagne comme la petite-vérole. Les livres la communiquent beaucoup moins que les assemblées et les discours. On s’échauffe rarement en lisant : car alors on peut avoir le sens rassis. Mais quand un homme ardent et d’une imagination forte parle à des imaginations faibles, ses yeux sont en feu, et ce feu se communique ; ses tons, ses gestes, ébranlent tous les nerfs des auditeurs. Il crie : Dieu vous regarde, sacrifiez ce qui n’est qu’humain ; combattez les combats du Seigneur[1] ; et on va combattre.

[2] Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère.

Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances : il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu.

Barthélemy Diaz fut un fanatique profès. Il avait à Nuremberg un frère, Jean Diaz, qui n’était encore qu’enthousiaste luthérien, vivement convaincu que le pape est l’antechrist, ayant le signe de la bête. Barthélemy, encore plus vivement persuadé que le pape est Dieu en terre, part de Rome pour aller convertir ou tuer son frère : il l’assassine ; voilà du parfait, et nous avons ailleurs rendu justice à ce Diaz[3].

Polyeucte, qui va au temple, dans un jour de solennité, renverser et casser les statues et les ornements, est un fanatique moins horrible que Diaz, mais non moins sot. Les assassins du duc François de Guise, de Guillaume prince d’Orange, du roi Henri III, du roi Henri IV, et de tant d’autres, étaient des énergumènes malades de la même rage que Diaz.

Le plus grand exemple[4] de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres,

  1. Prœliare bella Domini, se lit dans la Bible, I, Reg. xviii, 17.
  2. Dans la première édition du Dictionnaire philosophique, en 1764, ce qui suit, jusques et y compris les quatre vers de Bertaud, composait tout l’article Fanatisme ; sauf les différences que j’indiquerai. (B.)
  3. Voltaire indique probablement sa lettre au roi de Prusse, de décembre 1740, qu’on a longtemps imprimée en tête de Mahomet, et qu’on trouvera dans la Correspondance, à sa date.
  4. En 1764 on lisait : « Le plus détestable exemple. » (B.)