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FANATISME.

alors la république : tant la religion, dans tous les temps, a servi à persécuter les grands hommes !

Lorsque enfin, dans un temps plus heureux, Cicéron fut rappelé, il plaida devant le peuple pour obtenir que le terrain de sa maison lui fût rendu, et qu’on la rebâtît aux frais du peuple romain. Voici comme il s’exprime dans son plaidoyer contre Clodius (Oratio pro domo sua, cap, xl) :

« Adspicite, adspicite, pontifices, hominem religiosum, et,.... monete eum, modum quemdam esse religionis : nimium esse superstitiosum non oportere. Quid tibi necesse fuit anili superstitione, homo fanatice, sacrificium, quod alienæ domi fieret, invisere ? »

Le mot fanaticus signifie-t-il en cette place insensé fanatique, impitoyable fanatique, abominable fanatique, comme on l’entend aujourd’hui ? ou bien signifie-t-il pieux, consécrateur, homme religieux, dévot zélateur des temples ? ce mot est-il ici une injure ou une louange ironique ? Je n’en sais pas assez pour décider, mais je vais traduire :

« Regardez, pontifes, regardez cet homme religieux ; avertissez-le que la religion même a ses bornes, qu’il ne faut pas être si scrupuleux. Quel besoin, vous consécrateur, vous fanatique, quel besoin avez-vous de recourir à des superstitions de vieille pour assister à un sacrifice qui se faisait dans une maison étrangère ? »

Cicéron fait ici allusion aux mystères de la bonne déesse, que Clodius avait profanés en se glissant déguisé en femme avec une vieille, pour entrer dans la maison de César et pour y coucher avec sa femme : c’est donc ici évidemment une ironie.

Cicéron appelle Clodius homme religieux ; l’ironie doit donc être soutenue dans tout ce passage. Il se sert de termes honorables pour mieux faire sentir la honte de Clodius. Il me paraît donc qu’il emploie le mot fanatique comme un mot honorable, comme un mot qui emporte avec lui l’idée de consécrateur, de pieux, de zélé desservant d’un temple.

On put depuis donner ce nom à ceux qui se crurent inspirés par les dieux.

Les dieux à leur interprète
Ont fait un étrange don :
Ne peut-on être prophète
Sans qu’on perde la raison ?

Le même Dictionnaire de Trévoux dit que les anciennes chroniques de France appellent Clovis fanatique et païen. Le lecteur