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FABLE.

Maintenant, maintenant les bergers sont loups.
Je vous dis, je vous dis: Filles, gardez-vous[1].

Jupiter vous vaut bien ;
Je ris aussi quand l’Amour veut qu’il pleure :
Vous autres dieux, n’attaquez rien,
Qui, sans vous étonner, s’ose défendre une heure.
Que vous êtes reprenante.
Gouvernante[2] !

Malgré tout cela, Boileau devait rendre justice au mérite singulier du bonhomme (c’est ainsi qu’il l’appelait), et être enchanté avec tout le public du style de ses bonnes fables.

La Fontaine n’était pas né inventeur ; ce n’était pas un écrivain sublime, un homme d’un goût toujours sûr, un des premiers génies du grand siècle ; et c’est encore un défaut très-remarquable dans lui de ne pas parler correctement sa langue : il est dans cette partie très-inférieur à Phèdre ; mais c’est un homme unique dans les excellents morceaux qu’il nous a laissés : ils sont dans la bouche de tous ceux qui ont été élevés honnêtement ; ils contribuent même à leur éducation ; ils iront à la dernière postérité ; ils conviennent à tous les hommes, à tous les âges ; et ceux de Boileau ne conviennent guère qu’aux gens de lettres[3].


DE QUELQUES FANATIQUES QUI ONT VOULU PROSCRIRE LES ANCIENNES FABLES.


Il y eut parmi ceux qu’on nomme jansénistes une petite secte de cerveaux durs et creux, qui voulurent proscrire les belles fables de l’antiquité, substituer saint Prosper à Ovide, et Santeul à Horace. Si on les avait crus, les peintres n’auraient plus représenté Iris sur l’arc-en-ciel, ni Minerve avec son égide : mais Nicole et Arnauld combattant contre des jésuites et contre des protestants ; Mme Perrier guérie d’un mal aux yeux par une épine de la couronne de Jésus-Christ, arrivée de Jérusalem à Port-Royal ; le conseiller Carré de Montgeron, présentant à Louis XV le Recueil des convulsions de saint Médard, et saint Ovide ressuscitant des petits garçons.

  1. Daphné, acte Ier, scène ii.
  2. Id., acte II, scène v.
  3. Comparez : Œuvres complètes de La Fontaine, nouvelle édition avec un travail de critique et d’érudition par M. Louis Moland. — Garnier frères, sept volumes in-8o, 1872-1876, tome I, p. lxxxvii et suiv. ; tome VII, p. lxxxvi et suiv.