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ÉZÉCHIEL.

représenté le roi Évandre couvert d’une peau d’ours, et accompagné de deux chiens, pour recevoir des ambassadeurs, serait un mauvais critique.

Les mœurs des anciens Égyptiens et Juifs sont encore plus différentes des nôtres que celles du roi Alcinoüs, de Nausica sa fille, et du bonhomme Évandre.

Ézéchiel, esclave chez les Chaldéens, eut une vision près de la petite rivière de Chobard, qui se perd dans l’Euphrate. On ne doit point être étonné qu’il ait vu des animaux à quatre faces et à quatre ailes, avec des pieds de veau, ni des roues qui marchaient toutes seules, et qui avaient l’esprit de vie : ces symboles plaisent même à l’imagination ; mais plusieurs critiques se sont révoltés contre l’ordre que le Seigneur lui donna de manger, pendant trois cent quatre-vingt-dix jours, du pain d’orge, de froment et de millet, couvert d’excréments humains.

Le prophète s’écria : « Pouah ! pouah ! pouah ! mon âme n’a point été jusqu’ici pollue ; » et le Seigneur lui répondit : « Eh bien ! je vous donne de la fiente de bœuf au lieu d’excréments d’homme, et vous pétrirez votre pain avec cette fiente. »

Comme il n’est point d’usage de manger de telles confitures sur son pain, la plupart des hommes trouvent ces commandements indignes de la majesté divine. Cependant il faut avouer que de la bouse de vache et tous les diamants du Grand Mogol sont parfaitement égaux, non-seulement aux yeux d’un être divin, mais à ceux d’un vrai philosophe ; et à l’égard des raisons que Dieu pouvait avoir d’ordonner un tel déjeuner au prophète, ce n’est pas à nous de les demander.

Il suffit de faire voir que ces commandements, qui nous paraissent étranges, ne le parurent pas aux Juifs.

Il est vrai que la synagogue ne permettait pas, du temps de saint Jérôme, la lecture d’Ézéchiel avant l’âge de trente ans ; mais c’était parce que, dans le chapitre xviii, il dit que le fils ne portera plus l’iniquité de son père, et qu’on ne dira plus : Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en sont agacées.

En cela il se trouvait expressément en contradiction avec Moïse, qui, au chap. xxviii des Nombres, assure que les enfants portent l’iniquité des pères jusqu’à la troisième et quatrième génération.

Ézéchiel, au chapitre xx, fait dire encore au Seigneur qu’il a donné aux Juifs des préceptes qui ne sont pas bons. Voilà pourquoi la synagogue interdisait aux jeunes gens une lecture qui pouvait faire douter de l’irréfragabilité des lois de Moïse.