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LOIS.

puissance ; il y va lui-même, range ses poules derrière lui, et combat jusqu’à la mort. S’il est vainqueur, c’est lui qui chante le Te Deum. Dans la vie civile, il n’y a rien de si galant, de si honnête, de si désintéressé. Il a toutes les vertus. A-t-il dans son bec royal un grain de blé, un vermisseau, il le donne à la première de ses sujettes qui se présente. Enfin Salomon dans son sérail n’approchait pas d’un coq de basse-cour.

S’il est vrai que les abeilles soient gouvernées par une reine à qui tous ses sujets font l’amour, c’est un gouvernement plus parfait encore.

Les fourmis passent pour une excellente démocratie. Elle est au-dessus de tous les autres États, puisque tout le monde y est égal, et que chaque particulier y travaille pour le bonheur de tous.

La république des castors est encore supérieure à celle des fourmis, du moins si nous en jugeons par leurs ouvrages de maçonnerie.

Les singes ressemblent plutôt à des bateleurs qu’à un peuple policé ; et ils ne paraissent pas être réunis sous des lois fixes et fondamentales, comme les espèces précédentes.

Nous ressemblons plus aux singes qu’à aucun autre animal par le don de l’imitation, par la légèreté de nos idées, et par notre inconstance, qui ne nous a jamais permis d’avoir des lois uniformes et durables.

Quand la nature forma notre espèce, et nous donna quelques instincts, l’amour-propre pour notre conservation, la bienveillance pour la conservation des autres, l’amour qui est commun avec toutes les espèces, et le don inexplicable de combiner plus d’idées que tous les animaux ensemble ; après nous avoir ainsi donné notre lot, elle nous dit : Faites comme vous pourrez.

Il n’y a aucun bon code dans aucun pays. La raison en est évidente ; les lois ont été faites à mesure, selon les temps, les lieux, les besoins, etc.

Quand les besoins ont changé, les lois qui sont demeurées sont devenues ridicules. Ainsi la loi qui défendait de manger du porc et de boire du vin était très-raisonnable en Arabie, où le porc et le vin sont pernicieux ; elle est absurde à Constantinople.

La loi qui donne tout le fief à l’aîné est fort bonne dans un temps d’anarchie et de pillage. Alors l’aîné est le capitaine du château que des brigands assailliront tôt ou tard ; les cadets seront ses premiers officiers, les laboureurs ses soldats. Tout ce qui est à craindre, c’est que le cadet n’assassine ou n’empoisonne le seigneur salien son aîné, pour devenir à son tour le maître