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LOIS.

ans, que le monde entier n’en avait fait depuis Brama, Fohi, Zoroastre, et le Thaut de l’Égypte. D’où vient que l’esprit de législation en a fait si peu ?

Nous fûmes tous sauvages depuis le ve siècle. Telles sont les révolutions du globe : brigands qui pillaient, cultivateurs pillés, c’était là ce qui composait le genre humain, du fond de la mer Baltique au détroit de Gibraltar ; et quand les Arabes parurent au Midi, la désolation du bouleversement fut universelle.

Dans notre coin d’Europe, le petit nombre étant composé de hardis ignorants, vainqueurs et armés de pied en cap ; et le grand nombre, d’ignorants esclaves désarmés, presque aucun ne sachant ni lire ni écrire, pas même Charlemagne, il arriva très-naturellement que l’Église romaine, avec sa plume et ses cérémonies, gouverna ceux qui passaient leur vie à cheval, la lance en arrêt et le morion en tête.

Les descendants des Sicambres, des Bourguignons, des Ostrogoths, Visigoths, Lombards, Hérules, etc., sentirent qu’ils avaient besoin de quelque chose qui ressemblât à des lois. Ils en cherchèrent où il y en avait. Les évêques de Rome en savaient faire en latin. Les barbares les prirent avec d’autant plus de respect qu’ils ne les entendaient pas. Les décrétales des papes, les unes véritables, les autres effrontément supposées, devinrent le code des nouveaux regas, des leuds, des barons, qui avaient partagé les terres. Ce furent des loups qui se laissèrent enchaîner par des renards. Ils gardèrent leur férocité ; mais elle fut subjuguée par la crédulité, et par la crainte que la crédulité produit. Peu à peu l’Europe, excepté la Grèce et ce qui appartenait encore à l’empire d’Orient, se vit sous l’empire de Rome ; de sorte qu’on put dire une seconde fois :

Romanos rerum dominos gentemque togatam.

(Virg., Æn., I, 281.)

[1]Presque toutes les conventions étant accompagnées d’un signe de croix et d’un serment qu’on faisait souvent sur des reliques, tout fut du ressort de l’Église. Rome, comme la métropole, fut juge suprême des procès de la Chersonèse Cimbrique et de ceux de la Gascogne. Mille seigneurs féodaux joignant leurs usages au droit canon, il en résulta cette jurisprudence monstrueuse dont il reste encore tant de vestiges.

  1. Voyez l’article Abus. (Note de Voltaire.)