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LOIS.

ne soit point bigote. J’interprète en sa faveur cette loi qui dit que elle ne doit mie succéder. J’entends qu’elle n’héritera mie tant qu’il y aura mâle ; mais dès que mâles défaillent, je prouve que le royaume est à elle, par nature qui l’ordonne, et pour le bien de la nation.

J’invite tous les bons Français à montrer le même respect pour le sang de tant de rois. Je crois que c’est l’unique moyen de prévenir les factions qui démembreraient l’État. Je propose qu’elle règne de son chef et qu’on la marie à quelque bon prince, qui prendra le nom et les armes, et qui par lui-même pourra posséder quelque canton, lequel sera annexé à la France, ainsi qu’on a conjoint Marie-Thérèse de Hongrie et François duc de Lorraine, le meilleur prince du monde. Quel est le Welche qui refusera de la reconnaître, à moins qu’on ne déterre quelque autre belle princesse issue de Charlemagne, dont la famille fut chassée par Hugues Capet malgré la loi salique ; ou bien qu’on ne trouve quelque princesse plus belle encore, qui descende évidemment de Clovis, dont la famille fut précédemment chassée par son domestique Pépin, et toujours en dépit de la loi salique ?

Je n’aurai certainement nul besoin d’intrigues pour faire sacrer ma princesse dans Reims, ou dans Chartres, ou dans la chapelle du Louvre : car tout cela est égal ; ou même pour ne la point faire sacrer du tout, car on règne tout aussi bien non sacré que sacré : les rois, les reines d’Espagne, n’observent point cette cérémonie.

Parmi toutes les familles des secrétaires du roi, il ne se trouve personne qui dispute le trône à cette princesse capétienne. Les plus illustres maisons sont si jalouses l’une de l’autre qu’elles aiment bien mieux obéir à la fille des rois qu’à un de leurs égaux.

Reconnue aisément de toute la France, elle reçoit l’hommage de tous ses sujets avec une grâce majestueuse qui la fait aimer autant que révérer ; et tous les poëtes font des vers en l’honneur de ma princesse[1].



LOIS.


SECTION PREMIÈRE[2].


Il est difficile qu’il y ait une seule nation qui vive sous de bonnes lois. Ce n’est pas seulement parce qu’elles sont l’ouvrage

  1. Voyez le Commentaire sur l’Esprit des lois, dans les Mélanges, année 1777.
  2. Formait tout l’article des Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. Ce morceau avait été, avant l’impression, communiqué à Catherine II ; voyez, dans la Correspondance, la lettre de cette impératrice, du 5-16 mars 1771. (B.)