Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/621

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
611
LOI SALIQUE.

regarder en rien la couronne, ni comme aleu ni comme fief dominant.

Mézerai dit que l’imbécillité du sexe ne permet pas de régner. Mézerai ne parle ni en homme d’esprit ni en homme poli. L’histoire le dément assez. La reine Anne d’Angleterre, qui humilia Louis XIV ; l’impératrice reine de Hongrie, qui résista au roi Louis XV, à Frédéric le Grand, à l’électeur de Bavière, et à tant d’autres princes ; Élisabeth d’Angleterre, qui empêcha notre grand Henri de succomber ; l’impératrice de Russie, dont nous avons déjà parlé[1], font assez voir que Mézerai n’est pas plus véridique qu’honnête. Il devait savoir que la reine Blanche avait trop régné en France sous le nom de son fils, et Anne de Bretagne sous Louis XII.

Velly, dernier écrivain de l’histoire de France, devrait, par cette raison même, être le meilleur, puisqu’il avait tous les matériaux de ses devanciers ; mais il n’a pas toujours su profiter de ses avantages. Il s’emporte en invectives contre le sage et profond Rapin de Thoiras ; il veut lui prouver que jamais aucune princesse n’a succédé à la couronne tant qu’il y a eu des mâles capables de succéder. On le sait bien, et jamais Thoiras n’a dit le contraire.

Dans ce long âge de la barbarie, lorsqu’il ne s’agissait dans l’Europe que d’usurper et de soutenir ses usurpations, il faut avouer que les rois étaient fort souvent des chefs de bandits, ou des guerriers armés contre ces bandits ; il n’était pas possible de se soumettre à une femme ; quiconque avait un grand cheval de bataille ne voulait aller à la rapine et au meurtre que sous le drapeau d’un homme monté comme lui sur un grand cheval. Un bouclier ou un cuir de bœuf servait de trône. Les califes gouvernaient par l’Alcoran, les papes étaient censés gouverner par l’Évangile. Le Midi ne vit aucune femme régner, jusqu’à Jeanne de Naples, qui ne dut sa couronne qu’à la tendresse des peuples pour le roi Robert son grand-père, et à leur haine pour André son mari. Cet André était à la vérité de sang royal, mais né dans la Hongrie alors barbare. Il révolta les Napolitains par ses mœurs grossières, par son ivrognerie et par sa crapule. Le bon roi Robert fut obligé de contredire l’usage immémorial, et de déclarer Jeanne seule reine par son testament approuvé de la nation.

On ne voit dans le Nord aucune femme régner de son chef jusqu’à Marguerite de Valdemar, qui gouverna quelques mois en son propre nom, vers l’an 1377.

  1. Catherine II. Voyez page 608.