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LOI SALIQUE.

chéri des neuf électeurs ; que sa fille se mette à la tête des troupes avec deux jeunes électeurs amoureux d’elle ; qu’elle batte les Ottomans comme Débora battit le capitaine Sisara et ses trois cent mille soldats, et ses trois mille chars de guerre, dans un petit champ pierreux au pied du mont Thabor ; que ma princesse chasse les musulmans jusque par delà Andrinople ; que son père meure de joie ou autrement ; que les deux amants de ma princesse engagent leurs sept confrères à la couronner ; que tous les princes de l’empire et des villes y consentent : que deviendra la loi fondamentale et éternelle qui porte que le saint empire romain ne peut tomber de lance en quenouille, que l’aigle à deux têtes ne file point, et qu’on ne peut sans culotte s’asseoir sur le trône impérial ? On se moquera de cette vieille loi, et ma princesse régnera très-glorieusement.

COMMENT LA LOI SALIQUE S’EST ÉTABLIE.

On ne peut contester la coutume passée en loi qui veut que les filles ne puissent hériter la couronne de France tant qu’il reste un mâle du sang royal. Cette question est décidée depuis longtemps, le sceau de l’antiquité y est apposé. Si elle était descendue du ciel, elle ne serait pas plus révérée de la nation française. Elle s’accommode mal avec la galanterie de cette nation ; mais c’est qu’elle était en vigueur avant que cette nation fût galante.

Le président Hénault répète dans sa Chronique[1] ce qu’on avait dit au hasard avant lui, que Clovis rédigea la loi salique en 511, l’année même de sa mort. Je veux croire qu’il avait rédigé cette loi, et qu’il savait lire et écrire, comme je veux croire qu’il avait quinze ans lorsqu’il se mit à conquérir les Gaules ; mais je voudrais qu’on me montrât, à la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés ou de Saint-Martin, ce cartulaire de la loi salique, signé Clovis, ou Clodvic, ou Hildovic : par là du moins on apprendrait son véritable nom, que personne ne sait.

Nous avons deux éditions de cette loi salique, l’une par un nommé Hérold, l’autre par François Pithou ; et toutes deux sont différentes, ce qui n’est pas un bon signe. Quand le texte d’une loi est rapporté différemment dans deux écrits, non-seulement il est clair que l’un des deux est faux, mais il est fort probable qu’ils le sont tous deux. Aucune coutume des Francs ne fut écrite dans nos premiers siècles : il serait bien étrange que la

  1. Abrégé chronologique de l’Histoire de France.