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LIVRES.

des finances, avait imprimé un livre sur l’accord de la religion avec la politique ; et son beau-père le médecin Astruc avait donné au public les Mémoires dans lesquels l’auteur du Pentateuque avait pu prendre toutes les choses étonnantes qui s’étaient passées si longtemps avant lui.

Le même jour que Silhouette fut en place, quelque bon ami chercha un exemplaire des livres du beau-père et du gendre, pour les déférer au parlement, et les faire condamner au feu, selon l’usage. Ils rachetèrent tous deux tous les exemplaires qui étaient dans le royaume : de là vient qu’ils sont très-rares aujourd’hui.

Il n’est guère de livre philosophique ou théologique dans lequel on ne puisse trouver des hérésies et des impiétés, pour peu qu’on aide à la lettre.

Théodore de Mopsuète osait appeler le Cantique des cantiques un recueil d’impuretés ; Grotius les détaille, il en fait horreur ; Chatillon le traite d’ouvrage scandaleux.

Croirait-on qu’un jour le docteur Tamponet[1] dit à plusieurs docteurs : « Je me ferais fort de trouver une foule d’hérésies dans le Pater noster, si on ne savait pas de quelle bouche divine sortit cette prière, et si c’était un jésuite qui l’imprimât pour la première fois.

« Voici comme je m’y prendrais :

« Notre père qui êtes aux cieux. Proposition sentant l’hérésie, puisque Dieu est partout. On peut même trouver dans cet énoncé un levain de socinianisme, puisqu’il n’y est rien dit de la Trinité.

« Que votre règne arrive, que votre volonté soit faite dans la terre comme au ciel. Proposition sentant encore l’hérésie, puisqu’il est dit cent fois dans l’Écriture que Dieu règne éternellement. De plus, il est téméraire de demander que sa volonté s’accomplisse, puisque rien ne se fait, ni ne peut se faire que par la volonté de Dieu.

« Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien (notre pain substantiel, notre bon pain, notre pain nourrissant). Proposition directement contraire à ce qui est émané ailleurs de la bouche de Jésus-Christ[2] : « Ne dites point que mangerons-nous, que boirons-nous ? comme font les Gentils, etc. Ne demandez que le royaume des cieux, et tout le reste vous sera donné. »

« Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débi-

  1. Un des pseudonymes de Voltaire.
  2. Matthieu, chapitre vi, v. 31 et 33. (Note de Voltaire.)