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LIVRES.

La Chine en était pleine quand nous ne savions ni lire ni écrire.

Les copistes furent très-employés dans l’empire romain, depuis le temps des Scipions jusqu’à l’inondation des barbares.

Les Grecs s’occupèrent beaucoup à transcrire vers le temps d’Amyntas, de Philippe et d’Alexandre ; ils continuèrent surtout ce métier dans Alexandrie.

Ce métier est assez ingrat. Les marchands de livres payèrent toujours fort mal les auteurs et les copistes. Il fallait deux ans d’un travail assidu à un copiste pour bien transcrire la Bible sur du vélin. Que de temps et de peine pour copier correctement en grec et en latin les ouvrages d’Origène, de Clément d’Alexandrie, et de tous ces autres écrivains nommés Pères !

Saint Hieronymos, ou Hieronymus, que nous nommons Jérôme, dit dans une de ses lettres satiriques contre Rufin[1], qu’il s’est ruiné en achetant les œuvres d’Origène, contre lequel il écrivit avec tant d’amertume et d’emportement. « Oui, dit-il, j’ai lu Origène ; si c’est un crime, j’avoue que je suis coupable, et que j’ai épuisé toute ma bourse à acheter ses ouvrages dans Alexandrie. »

Les sociétés chrétiennes eurent dans les trois premiers siècles cinquante-quatre évangiles, dont à peine deux ou trois copies transpirèrent chez les Romains de l’ancienne religion jusqu’au temps de Dioclétien.

C’était un crime irrémissible chez les chrétiens de montrer les évangiles aux Gentils ; ils ne les prêtaient pas même aux catéchumènes.

Quand Lucien raconte, dans son Philopatris[2] (en insultant notre religion, qu’il connaissait très peu), « qu’une troupe de gueux le mena dans un quatrième étage où l’on invoquait le père par le fils, et où l’on prédisait des malheurs à l’empereur et à l’empire », il ne dit point qu’on lui ait montré un seul livre. Aucun historien, aucun auteur romain ne parle des évangiles.

Lorsqu’un chrétien, malheureusement téméraire et indigne de sa sainte religion, eut mis en pièces publiquement et foulé aux pieds un édit de l’empereur Dioclétien, et qu’il eut attiré sur le christianisme la persécution qui succéda à la plus grande tolérance, les chrétiens furent alors obligés de livrer leurs évangiles et leurs autres écrits aux magistrats : ce qui ne s’était jamais fait

  1. Lettre de Jérôme à Psammaque. (Note de Voltaire.)
  2. Malgré l’opinion de J.-A. Fabricius, il est reconnu aujourd’hui que le Philopatris (l’Ami de la patrie) n’est pas de Lucien.