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LIBERTÉ.
A.

Oui, sans doute.

B.

Et quelle est cette raison, s’il vous plaît ?

A.

C’est que l’idée de pair s’est présentée à votre esprit plutôt que l’idée opposée. Il serait plaisant qu’il y eût des cas où vous voulez parce qu’il y a une cause de vouloir, et qu’il y eût quelques cas où vous voulussiez sans cause. Quand vous voulez vous marier, vous en sentez la raison dominante évidemment ; vous ne la sentez pas quand vous jouez à pair ou non, et cependant il faut bien qu’il y en ait une.

B.

Mais, encore une fois, je ne suis donc pas libre ?

A.

Votre volonté n’est pas libre, mais vos actions le sont. Vous êtes libre de faire quand vous avez le pouvoir de faire.

B.

Mais tous les livres que j’ai lus sur la liberté d’indifférence....[1]

A.

Qu’entendez-vous par liberté d’indifférence ?

B.

J’entends de cracher à droite ou à gauche, de dormir sur le côté droit ou sur le gauche, de faire quatre tours de promenade ou cinq.

A.

Vous auriez là vraiment une plaisante liberté ! Dieu vous aurait fait un beau présent ! il y aurait bien là de quoi se vanter ! Que vous servirait un pouvoir qui ne s’exercerait que dans des occasions si futiles ? Mais le fait est qu’il ridicule de supposer la volonté de vouloir cracher à droite. Non-seulement cette volonté de vouloir est absurde, mais il est certain que plusieurs petites circonstances vous déterminent à ces actes que vous appelez indifférents. Vous n’êtes pas plus libre dans ces actes que dans

  1. En 1764, l’article se terminait ainsi :
    A.

    « Sont des sottises ; il n’y a pas de liberté d’indifférence ; c’est un mot destitué de sens, inventé par des gens qui n’en avaient guère. »

    La nouvelle fin de l’article est de 1771. (B.)