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LIBERTÉ.

jamais lu dans aucun pays du monde, il est à croire que ces satires, qu’on débitait sous le manteau, ne faisaient pas grand mal. C’est en parlant au peuple assemblé qu’on excite des séditions bien plutôt qu’en écrivant. C’est pourquoi la première chose que fit, à son avénement, la reine d’Angleterre Élisabeth, chef de l’Église anglicane et défenseur de la foi, ce fut d’ordonner qu’on ne prêchât de six mois sans sa permission expresse.

L’Anti-Caton de César était un libelle ; mais César fit plus de mal à Caton par la bataille de Pharsale et par celle de Tapsa que par ses diatribes.

Les Philippiques de Cicéron sont des libelles ; mais les proscriptions des triumvirs furent des libelles plus terribles.

Saint Cyrille, saint Grégoire de Nazianze, firent des libelles contre le grand empereur Julien ; mais ils eurent la générosité de ne les publier qu’après sa mort.

Rien ne ressemble plus à des libelles que certains manifestes de souverains. Les secrétaires du cabinet de Moustapha, empereur des Osmanlis, ont fait un libelle de leur déclaration de guerre[1].

Dieu les en a punis, eux et leur commettant. Le même esprit qui anima César, Cicéron, et les secrétaires de Moustapha, domine dans tous les polissons qui font des libelles dans leurs greniers. Natura est semper sibi consona[2]. Qui croirait que les âmes de Garasse, du cocher de Vertamon, de Nonotte, de Paulian, de Fréron, de Langleviel dit La Beaumelle, fussent, à cet égard, de la même trempe que les âmes de César, de Cicéron, de saint Cyrille, et du secrétaire de l’empereur des Osmanlis ? Rien n’est pourtant plus vrai.



LIBERTÉ[3].


Ou je me trompe fort, ou Locke le définisseur a très-bien défini la liberté puissance. Je me trompe encore, ou Collins, célèbre magistrat de Londres, est le seul philosophe qui ait bien approfondi cette idée, et Clarke ne lui a répondu qu’en théologien. Mais de tout ce qu’on a écrit en France sur la liberté, le petit dialogue suivant est ce qui m’a paru de plus net.

  1. Contre la Russie.
  2. Ces paroles sont de Newton ; voyez, le chapitre ii des Oreilles du comte de Chesterfleld.
  3. Dictionnaire philosophique, 1764, moins le premier alinéa, qui fut ajouté, en 1771, dans les Questions sur l’Encyclopédie, septième partie. (B.)