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LÈPRE ET VÉROLE.

commentateur nommé Pinéda, que la vérole et la lèpre sont précisément la même chose. Ce n’est pas que Calmet soit médecin ; ce n’est pas qu’il raisonne ; mais il cite, et dans son métier de commentateur, les citations ont toujours tenu lieu de raisons. Il cite entre autres le consul Ausone, né Gascon et poëte, précepteur du malheureux empereur Gratien, et que quelques-uns ont cru avoir été évêque.

Calmet, dans sa dissertation sur la maladie de Job, renvoie le lecteur à cette épigramme d’Ausone sur une dame romaine nommée Crispa :

Crispa pour ses amants ne fut jamais farouche ;
Elle offre à leurs plaisirs et sa langue et sa bouche ;
Tous ses trous en tout temps furent ouverts pour eux :
Célébrons, mes amis, des soins si généreux.

(Ausone, épig. lxxi.)

On ne voit pas ce que cette prétendue épigramme a de commun avec ce qu’on impute à Job, qui d’ailleurs n’a jamais existé, et qui n’est qu’un personnage allégorique d’une fable arabe, ainsi que nous l’avons vu[1].

Quand Astruc, dans son Histoire de la vérole, allègue des autorités pour prouver que la vérole vient en effet de Saint-Domingue, et que les Espagnols la rapportèrent d’Amérique, ses citations sont plus concluantes.

Deux choses prouvent, à mon avis, que nous devons la vérole à l’Amérique : la première est la foule des auteurs, des médecins et des chirurgiens du xvie siècle qui attestent cette vérité ; la seconde est le silence de tous les médecins et de tous les poëtes de l’antiquité, qui n’ont jamais connu cette maladie, et qui n’ont jamais prononcé son nom. Je regarde ici le silence des médecins et des poëtes comme une preuve également démonstrative. Les premiers, à commencer par Hippocrate, n’auraient pas manqué de décrire cette maladie, de la caractériser, de lui donner un nom, de chercher quelques remèdes. Les poëtes, aussi malins que les médecins sont laborieux, auraient parlé, dans leurs satires, de la chaudepisse, du chancre, du poulain, de tout ce qui précède ce mal affreux, et de toutes ses suites : vous ne trouvez pas un seul vers dans Horace, dans Catulle, dans Martial, dans Juvénal, qui ait le moindre rapport à la vérole, tandis qu’ils s’étendent tous avec tant de complaisance sur tous les effets de la débauche.

  1. Au mot Arabes, tome XVII, page 342.