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LARMES.

les corrompre ; la raison en est claire : c’est qu’on rendrait bientôt inintelligibles les livres qui font l’instruction et le plaisir des nations.



LARMES[1].


Les larmes sont le langage muet de la douleur. Mais pourquoi ? Quel rapport y a-t-il entre une idée triste, et cette liqueur limpide et salée, filtrée par une petite glande au coin externe de l’œil, laquelle humecte la conjonctive et les petits points lacrymaux, d’où elle descend dans le nez et dans la bouche par le réservoir appelé sac lacrymal, et par ses conduits ?

Pourquoi dans les enfants et dans les femmes, dont les organes sont d’un réseau faible et délicat, les larmes sont-elles plus aisément excitées par la douleur que dans les hommes faits, dont le tissu est plus ferme ?

La nature a-t-elle voulu faire naître en nous la compassion à l’aspect de ces larmes qui nous attendrissent, et nous porter à secourir ceux qui les répandent ? La femme sauvage est aussi fortement déterminée à secourir l’enfant qui pleure, que le serait une femme de la cour, et peut-être davantage, parce qu’elle a moins de distractions et de passions.

Tout a une fin sans doute dans le corps animal. Les yeux surtout ont des rapports mathématiques si évidents, si démontrés, si admirables, avec les rayons de lumière ; cette mécanique est si divine, que je serais tenté de prendre pour un délire de fièvre chaude l’audace de nier les causes finales de la structure de nos yeux.

L’usage des larmes ne paraît pas avoir une fin si déterminée et si frappante ; mais il serait beau que la nature les fît couler pour nous exciter à la pitié.

Il y a des femmes qui sont accusées de pleurer quand elles veulent. Je ne suis nullement surpris de leur talent. Une imagination vive, sensible et tendre, peut se fixer à quelque objet, à quelque ressouvenir douloureux, et se le représenter avec des couleurs si dominantes qu’elles lui arrachent des larmes. C’est ce qui arrive à plusieurs acteurs, et principalement à des actrices, sur le théâtre.

Les femmes qui les imitent dans l’intérieur de leurs maisons joignent à ce talent la petite fraude de paraître pleurer pour leur

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1771. (B.)