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LANGUES.

donné un petit dictionnaire huron, imprimé à Paris chez Denis Moreau, en 1632. Cet ouvrage ne nous sera pas désormais fort utile depuis que la France est soulagée du fardeau du Canada. Il dit qu’en huron père est aystan, et en canadien notoui. Il y a encore loin de notoui et d’aystan à pater et à papa. Gardez-vous des systèmes, vous dis-je, mes chers Welches.

D’UN SYSTÈME SUR LES LANGUES.

L’auteur de la Mécanique du langage[1] explique ainsi son système :

« La terminaison latine urire est appropriée à désigner un désir vif et ardent de faire quelque chose : micturire, esurire ; par où il semble qu’elle ait été fondamentalement formée sur le mot urere et sur le signe radical ur, qui en tant de langues signifie le feu. Ainsi la terminaison urire était bien choisie pour désigner un désir brûlant. »

Cependant nous ne voyons pas que cette terminaison en ire soit appropriée à un désir vif et ardent dans ire, exire, abire, aller, sortir, s’en aller ; dans vincire, lier ; scaturire, sourdre, jaillir ; condire, assaisonner ; parturire, accoucher ; grunnire, gronder, grouiner, ancien mot qui exprimait très-bien le cri du porc.

Il faut avouer surtout que cet ire n’est approprié à aucun désir très-vif, dans balbutire, balbutier ; singultire, sangloter ; perire, périr. Personne n’a envie ni de balbutier, ni de sangloter, encore moins de périr. Ce petit système est fort en défaut ; nouvelle raison pour se défier des systèmes.

Le même auteur paraît aller trop loin en disant : « Nous alongeons les lèvres en dehors, et tirons, pour ainsi dire, le bout d’en haut de cette corde pour faire sonner u, voyelle particulière aux Français, et que n’ont pas les autres nations. »

Il est vrai que le précepteur du Bourgeois gentilhomme[2] lui apprend qu’il fait un peu la moue en prononçant u ; mais il n’est pas vrai que les autres nations ne fassent pas un peu la moue aussi.

L’auteur ne parle sans doute ni l’espagnol, ni l’anglais, ni l’allemand, ni le hollandais ; il s’en est rapporté à d’anciens auteurs qui ne savaient pas plus ces langues que celles du Sénégal et du Thibet, que cependant l’auteur cite. Les Espagnols

  1. Le président de Brosses.
  2. Acte II, scène vi.