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EXAGÉRATION.

c’est la naïveté et la familiarité, qui ne sont convenables qu’à la comédie. Cette naïveté plut alors beaucoup.

La première entrevue de Sophonisbe et de Massinisse charma toute la cour. La coquetterie de cette reine captive, qui veut plaire à son vainqueur, eut un prodigieux succès. On trouva même très-bon que de deux suivantes qui accompagnaient Sophonisbe dans cette scène, l’une dit à l’autre, en voyant Massinisse attendri : Ma compagne, il se prend[1]. Ce trait comique était dans la nature, et les discours ampoulés n’y sont pas ; aussi cette pièce resta plus de quarante années au théâtre.

L’exagération espagnole reprit bientôt sa place dans l’imitation du Cid que donna Pierre Corneille, d’après Guillem de Castro et Baptista Diamante, deux auteurs qui avaient traité ce sujet avec succès à Madrid. Corneille ne craignit point de traduire ces vers de Diamante :

Su sangre señor que en humo
Su sentimiento esplicava,
Por la boca que la vierté
De verse alli derramada
Por otro que por su rey.

Son sang sur la poussière écrivait mon devoir.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ce sang qui, tout sorti, fume encor de courroux
De se voir répandu pour d’autres que pour vous[2].

Le comte de Gormaz ne prodigue pas des exagérations moins fortes quand il dit :

Grenade et l’Aragon tremblent quand ce fer brille.
Mon nom sert de rempart à toute la Castille.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le prince, pour essai de générosité,
Gagnerait des combats marchant à mon côté[3].

  1. Sophonisbe de Mairet, acte III, scène iv.
  2. Cid, acte II, scène viii.
  3. Cid, acte Ier, scène iii ; l’édition de 1664 et celles qui suivent portent :

    Le prince, à mes côtés, ferait dans les combats
    L’essai de son courage à l’ombre de mon bras.

    Mais il était naturel que Voltaire fît ses citations d’après l’édition qu’il avait donnée du Théâtre de Corneille avec commentaires ; et il dit lui-même avoir fait en partie son travail sur des éditions antérieures à 1664 ; voyez ses lettres à Duclos, des 12 juillet, 14 septembre et 25 décembre 1761. (B.)