Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
543
JULIEN.

de l’âme ; nuls regrets, nulle faiblesse ; il ne parle que de sa soumission à la Providence. Qu’on songe que c’est un empereur de trente-deux ans qui meurt ainsi, et qu’on voie s’il est permis d’insulter sa mémoire.

Si on le considère comme empereur, on le voit refuser le titre de dominus qu’affectait Constantin, soulager les peuples, diminuer les impôts, encourager les arts, réduire à soixante et dix onces ces présents de couronnes d’or de trois à quatre cents marcs, que ses prédécesseurs exigeaient de toutes les villes, faire observer les lois, contenir ses officiers et ses ministres, et prévenir toute corruption.

Dix soldats chrétiens complotent de l’assassiner ; ils sont découverts, et Julien leur pardonne. Le peuple d’Antioche, qui joignait l’insolence à la volupté, l’insulte ; il ne s’en venge qu’en homme d’esprit, et, pouvant lui faire sentir la puissance impériale, il ne fait sentir à ce peuple que la supériorité de son génie. Comparez à cette conduite les supplices que Théodose (dont on a presque fait un saint) étale dans Antioche, tous les citoyens de Thessalonique égorgés pour un sujet à peu près semblable ; et jugez entre ces deux hommes.

Des écrivains qu’on nomme Pères de l’Église, Grégoire de Nazianze et Théodoret, ont cru qu’il fallait le calomnier, parce qu’il avait quitté la religion chrétienne. Ils n’ont pas songé que le triomphe de cette religion était de l’emporter sur un grand homme, et même sur un sage, après avoir résisté aux tyrans. L’un dit qu’il remplit Antioche de sang, par une vengeance barbare. Comment un fait si public eût-il échappé à tous les autres historiens ? On sait qu’il ne versa dans Antioche que le sang des victimes. Un autre ose assurer qu’avant d’expirer il jeta son sang contre le ciel, et s’écria : Tu as vaincu, Galiléen. Comment un conte aussi insipide a-t-il pu être accrédité ? Était-ce contre des chrétiens qu’il combattait ? et une telle action et de tels mots étaient-ils dans son caractère ?

Des esprits plus sensés que les détracteurs de Julien demanderont comment il peut se faire qu’un homme d’État tel que lui, un homme de tant d’esprit, un vrai philosophe, pût quitter le christianisme, dans lequel il avait été élevé, pour le paganisme, dont il devait sentir l’absurdité et le ridicule. Il semble que si Julien écouta trop sa raison contre les mystères de la religion chrétienne, il devait écouter bien davantage cette même raison, plus éclairée contre les fables des païens.

Peut-être en suivant le cours de sa vie, et en observant son