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JUIFS.

tins ; laquelle coûta la vie à cinquante mille soixante et dix Juifs pour avoir osé regarder l’arche, tandis que ceux qui l’avaient prise si insolemment à la guerre en furent quittes pour des hémorroïdes et pour offrir à vos prêtres cinq rats d’or et cinq anus d’or[1]. Vous m’avouerez que deux cent trente-neuf mille vingt hommes massacrés par vos compatriotes, sans compter tout ce que vous perdîtes dans vos alternatives de guerre et de servitude, devaient faire un grand tort à une colonie naissante.

Comment puis-je ne pas vous plaindre en voyant dix de vos tribus absolument anéanties, ou peut-être réduites à deux cents familles, qu’on retrouve, dit-on, à la Chine et dans la Tartarie ?

Pour les deux autres tribus, vous savez ce qui leur est arrivé. Souffrez donc ma compassion, et ne m’imputez pas de mauvaise volonté.


QUATRIÈME LETTRE.
Sur la femme à Michas.

Trouvez bon que je vous demande ici quelques éclaircissements sur un fait singulier de votre histoire ; il est peu connu des dames de Paris et des personnes du bon ton.

Il n’y avait pas trente-huit ans que votre Moïse était mort, lorsque la femme à Michas, de la tribu de Benjamin, perdit onze cents sicles, qui valent, dit-on, environ six cents livres de notre monnaie. Son fils les lui rendit[2] sans que le texte nous apprenne s’il ne les avait pas volés. Aussitôt la bonne Juive en fait faire des idoles, et leur construit une petite chapelle ambulante selon l’usage. Un lévite de Bethléem s’offrit pour la desservir moyennant dix francs par an, deux tuniques, et bouche à cour, comme on disait autrefois.

Une tribu alors, qu’on appela depuis la Tribu de Dan, passa auprès de la maison de la Michas, en cherchant s’il n’y avait rien à piller dans le voisinage. Les gens de Dan sachant que la Michas

  1. Plusieurs théologiens, qui sont la lumière du monde, ont fait des commentaires sur ces rats d’or et sur ces anus d’or. Ils disaient que les metteurs en œuvre philistins étaient bien adroits ; qu’il est très-difficile de sculpter en or un trou du cul bien reconnaissable sans y joindre deux fesses, et que c’était une étrange offrande au Seigneur qu’un trou du cul. D’autres théologiens disent que c’était aux sodomites à présenter cette offrande. Mais enfin ils ont abandonné cette dispute. Ils s’occupent aujourd’hui de convulsions, de billets de confession, et d’extrême-onction donnée la baïonnette au bout du fusil. (Note de Voltaire.)
  2. Juges, chapitre xvii. (Id.)