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JUIFS.

filets pour prendre des cailles, qui les nourrirent pendant quelques semaines, dans le temps du passage des oiseaux.

Des savants ont prétendu que cette origine s’accorde parfaitement avec votre histoire. Vous dites vous-mêmes que vous habitâtes ce désert, que vous y manquâtes d’eau, que vous y vécûtes de cailles, qui en effet y sont très-abondantes. Le fond de vos récits semble confirmer celui de Diodore de Sicile ; mais je n’en crois que le Pentateuque. L’auteur ne dit point qu’on vous ait coupé le nez et les oreilles. Il me semble même (autant qu’il m’en peut souvenir, car je n’ai pas Diodore sous ma main) qu’on ne vous coupa que le nez. Je ne me souviens plus où j’ai lu que les oreilles furent de la partie ; je ne sais point si c’est dans quelques fragments de Manéthon, cité par saint Éphrem.

Le secrétaire qui m’a fait l’honneur de m’écrire en votre nom[1] a beau m’assurer que vous volâtes pour plus de neuf millions d’effets en or monnayé ou orfévri, pour aller faire votre tabernacle dans le désert, je soutiens que vous n’emportâtes que ce qui vous appartenait légitimement, en comptant les intérêts à quarante pour cent, ce qui était le taux légitime.

Quoi qu’il en soit, je certifie que vous êtes d’une très-bonne noblesse, et que vous étiez seigneurs d’Hershalaïm longtemps avant qu’il fût question dans le monde de la maison de Souabe, de celles d’Anhalt, de Saxe et de Bavière.

Il se peut que les nègres d’Angola et ceux de Guinée soient beaucoup plus anciens que vous, et qu’ils aient adoré un beau serpent avant que les Égyptiens aient connu leur Isis et que vous ayez habité auprès du lac Sirbon ; mais les nègres ne nous ont pas encore communiqué leurs livres.


TROISIÈME LETTRE.
Sur quelques chagrins arrivés au peuple de Dieu.

Loin de vous accuser, messieurs, je vous ai toujours regardés avec compassion. Permettez-moi de vous rappeler ici ce que j’ai lu dans le discours préliminaire de l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations et sur l’Histoire générale[2]. On y trouve deux cent trente-neuf mille vingt Juifs égorgés les uns par les autres, depuis l’adoration du veau d’or jusqu’à la prise de l’arche par les Philis-

  1. Voyez tome XIX, pages 161-62.
  2. Voyez tome XI, page 118.