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JOSEPH.

de nous instruire à qui appartenait l’enfant qui jugea avec tant d’esprit : si c’était un fils de la Putiphar, Joseph n’était pas le premier à qui cette femme en avait voulue[1].

Quoi qu’il en soit, Joseph, selon la Genèse, est mis en prison, et il s’y trouve en compagnie de l’échanson et du panetier du roi d’Égypte. Ces deux prisonniers d’État rêvent tous deux pendant la nuit : Joseph explique leurs songes ; il leur prédit que dans trois jours l’échanson rentrera en grâce, et que le panetier sera pendu : ce qui ne manqua pas d’arriver.

Deux ans après, le roi d’Égypte rêve aussi ; son échanson lui dit qu’il y a un jeune Juif en prison, qui est le premier homme du monde pour l’intelligence des rêves : le roi fait venir le jeune homme, qui lui prédit sept années d’abondance, et sept années de stérilité.

Interrompons un peu ici le fil de l’histoire pour voir de quelle prodigieuse antiquité est l’interprétation des songes. Jacob avait vu en songe l’échelle mystérieuse au haut de laquelle était Dieu lui-même : il apprit en songe une méthode de multiplier les troupeaux, méthode qui n’a jamais réussi qu’à lui. Joseph lui-même avait appris par un songe qu’il dominerait un jour sur ses frères. Abimélech, longtemps auparavant, avait été averti en songe que Sara était femme d’Abraham[2].

Revenons à Joseph. Dès qu’il eut expliqué le songe de Pharaon, il fut sur-le-champ premier ministre. On doute qu’aujourd’hui on trouvât un roi, même en Asie, qui donnât une telle charge pour un rêve expliqué. Pharaon fit épouser à Joseph une fille de Putiphar. Il est dit que ce Putiphar était grand-prêtre d’Héliopolis : ce n’était donc pas l’eunuque, son premier maître ; ou si c’était lui, il avait encore certainement un autre titre que celui de grand-prêtre, et sa femme avait été mère plus d’une fois.

Cependant la famine arriva comme Joseph l’avait prédit, et

  1. Voici le passage tiré du chapitre de Joseph : « La femme de son maître fut amoureuse de sa beauté ; elle l’enferma un jour dedans sa chambre, et le voulut solliciter d’amour : Dieu me garde, dit-il, de trahir mon maître et d’être impudique (il était au nombre des gens de bien), et s’enfuit à la porte. Sa maîtresse courut après lui, et déchira sa chemise par le dos pour l’arrêter ; elle rencontra son mari derrière la porte auquel elle dit : Que mérite autre chose celui qui a voulu déshonorer ta maison, sinon d’être mis prisonnier et d’être rigoureusement châtié ? — Seigneur, dit Joseph, elle me sollicite ; cet enfant qui est dans le berceau, et qui est de ta parenté, en sera témoin. Alors l’enfant qui était au berceau dit : Si la chemise de Joseph est déchirée par devant, elle (la maîtresse) dit la vérité, et Joseph est menteur. Si la chemise est déchirée par derrière, Joseph dit la vérité, et elle est menteuse. » (G. A.)
  2. Voyez Songes, section iii de l’article Somnambule.