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JEPHTÉ.

tulé. Les lecteurs me diront : Ne te fâche pas tant ; que t’importe un mauvais livre ? — Messieurs, il s’agit de Jephté ; il s’agit de victimes humaines : c’est du sang des hommes sacrifiés à Dieu que je veux vous entretenir.

L’auteur, quel qu’il soit, traduit ainsi le trente-neuvième verset du chap. ii de l’Histoire de Jephté :

« Elle retourna dans la maison de son père, qui fit la consécration qu’il avait promise par son vœu ; et sa fille resta dans l’état de virginité. »

Oui, falsificateur de Bible, j’en suis fâché, mais vous avez menti au Saint-Esprit, et vous devez savoir que cela ne se pardonne pas.

Il y a dans la Vulgate : « Et reversa est ad patrem suum, et fecit ei sicut voverat quæ ignorabat virum. Exinde mos increbuit in Israël, et consuetudo servata est, ut post anni circulum conveniant in unum filiæ Israël, et plangant filiam Jephte Galaaditæ, diebus quatuor. — Elle revint à son père, et il lui fit comme il avait voué, à elle qui n’avait point connu d’homme. Et de là est venu l’usage, et la coutume s’est conservée, que les filles d’Israël s’assemblent tous les ans pour pleurer la fille de Jephté le Galaadite, pendant quatre jours. »

Or, dites-nous, homme antiphilosophe, si on pleure tous les ans pendant quatre jours une fille pour avoir été consacrée ?

Dites-nous s’il y avait des religieuses chez un peuple qui regardait la virginité comme un opprobre ?

Dites-nous ce que signifie : Il lui fit comme il avait voué, fecit ei sicut voverat ? Qu’avait voué Jephté ? qu’avait-il promis par serment ? D’égorger sa fille, de l’immoler en holocauste, et il l’égorgea.

Lisez la dissertation de Calmet sur la témérité du vœu de Jephté et sur son accomplissement ; lisez la loi qu’il cite, cette loi terrible du Lévitique, au chapitre xxvii, qui ordonne que tout ce qui sera dévoué au Seigneur ne sera point racheté, mais mourra de mort ; « non redimetur, sed morte morietur ».

Voyez les exemples en foule attester cette vérité épouvantable ; voyez les Amalécites et les Chananéens ; voyez le roi d’Arad et tous les siens soumis à ce dévouement ; voyez le prêtre Samuel égorger de ses mains le roi Agag, et le couper en morceaux comme un boucher débite un bœuf dans sa boucherie. Et puis corrompez, falsifiez, niez l’Écriture sainte, pour soutenir votre paradoxe ; insultez à ceux qui la révèrent, quelque chose étonnante qu’ils y trouvent. Donnez un démenti à l’historien Josèphe, qui la transcrit, et qui dit positivement que Jephté immola sa fille. Entassez