Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
498
JEPHTÉ.

pour venir le féliciter de sa victoire contre les Ammonites. Sa fille unique vint au-devant de lui ; il déchira ses vêtements, et il l’immola après lui avoir permis d’aller pleurer sur les montagnes le malheur de mourir vierge. Les filles juives célébrèrent longtemps cette aventure, en pleurant la fille de Jephté pendant quatre jours[1].

En quelque temps que cette histoire ait été écrite, qu’elle soit imitée de l’histoire grecque d’Agamemnon et d’Idoménée, ou qu’elle en soit le modèle, qu’elle soit antérieure ou postérieure à de pareilles histoires assyriennes, ce n’est pas ce que j’examine ; je m’en tiens au texte : Jephté voua sa fille en holocauste, et accomplit son vœu.

Il était expressément ordonné par la loi juive d’immoler les hommes voués au Seigneur. « Tout homme voué ne sera point racheté, mais sera mis à mort sans rémission. » La Vulgate traduit : « Non redimetur, sed morte morietur[2]. »

C’est en vertu de cette loi que Samuel coupa en morceaux le roi Agag, à qui, comme nous l’avons déjà dit[3], Saül avait pardonné ; et c’est même pour avoir épargné Agag que Saül fut réprouvé du Seigneur, et perdit son royaume.

Voilà donc les sacrifices de sang humain clairement établis ; il n’y a aucun point d’histoire mieux constaté : on ne peut juger d’une nation que par ses archives, et par ce qu’elle rapporte d’elle-même.

SECTION II.

Il y a donc des gens à qui rien ne coûte, qui falsifient un passage de l’Écriture aussi hardiment que s’ils en rapportaient les propres mots ; et qui, sur leur mensonge, qu’ils ne peuvent méconnaître, espèrent qu’ils tromperont les hommes. Et s’il y a aujourd’hui de tels fripons, il est à présumer qu’avant l’invention de l’imprimerie il y en avait cent fois davantage.

Un des plus impudents falsificateurs a été l’auteur d’un infâme libelle intitulé Dictionnaire antiphilosophique[4], et justement inti-

  1. Voyez chapitre xi des Juges, v. 40. (Note de Voltaire.)
  2. Lévitique, chapitre xxvii, v. 29. (Id.)
  3. Voyez une des notes du XVIe chant de la Pucelle, tome IX, page 259.
  4. Par Chaudon : voyez l’Avertissement de Beuchot, tome XVII.