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JAPON.

chemin un conseiller d’État, lui disputa le pas[1] ; il lui soutint qu’il était du premier ordre de l’État, et que le conseiller, n’étant que du second, lui devait beaucoup de respect. L’affaire fit du bruit. Les Japonais sont encore plus fiers qu’indulgents : on chassa le moine évêque et quelques chrétiens dès l’année 1586. Bientôt la religion chrétienne fut proscrite. Les missionnaires s’humilièrent, demandèrent pardon, obtinrent grâce, et en abusèrent.

Enfin, en 1637, les Hollandais ayant pris un vaisseau espagnol qui faisait voile du Japon à Lisbonne, ils trouvèrent dans ce vaisseau des lettres d’un nommé Moro, consul d’Espagne à Nangazaqui. Ces lettres contenaient le plan d’une conspiration des chrétiens du Japon pour s’emparer du pays. On y spécifiait le nombre des vaisseaux qui devaient venir d’Europe et d’Asie appuyer cette entreprise.

Les Hollandais ne manquèrent pas de remettre les lettres au gouvernement. On saisit Moro ; il fut obligé de reconnaître son écriture, et condamné juridiquement à être brûlé.

Tous les néophytes des jésuites et des dominicains prirent alors les armes, au nombre de trente mille. Il y eut une guerre civile affreuse. Ces chrétiens furent tous exterminés.

Les Hollandais, pour prix de leur service, obtinrent seuls, comme on sait, la liberté de commercer au Japon, à condition qu’ils n’y feraient jamais aucun acte de christianisme ; et depuis ce temps ils ont été fidèles à leur promesse.

Qu’il me soit permis de demander à ces missionnaires quelle était leur rage, après avoir servi à la destruction de tant de peuples en Amérique, d’en aller faire autant aux extrémités de l’Orient, pour la plus grande gloire de Dieu ?

S’il était possible qu’il y eût des diables déchaînés de l’enfer pour venir ravager la terre, s’y prendraient-ils autrement ? Est-ce donc là le commentaire du contrains-les d’entrer ? Est-ce ainsi que la douceur chrétienne se manifeste ? Est-ce là le chemin de la vie éternelle ?

Lecteurs, joignez cette aventure à tant d’autres ; réfléchissez, et jugez.



JEANNE D’ARC[2].


  1. Ce fait est avéré par toutes les relations. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez Arc, tome XVII, page 351.