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INTÉRÊT.

calcul, et celui de M. Bouclier d’Argis pour la jurisprudence. Osons ajouter quelques réflexions.

1o L’or et l’argent sont-ils une marchandise ? oui ; l’auteur de l’Esprit des lois n’y pense pas lorsqu’il dit[1] : « L’argent, qui est le prix des choses, se loue et ne s’achète pas. »

Il se loue et s’achète. J’achète de l’or avec de l’argent, et de l’argent avec de l’or ; et le prix en change tous les jours chez toutes les nations commerçantes,

La loi de la Hollande est qu’on payera les lettres de change en argent monnayé du pays, et non en or, si le créancier l’exige. Alors j’achète de la monnaie d’argent, et je la paye ou en or, ou en drap, ou en blé, ou en diamants.

J’ai besoin de monnaie, ou de blé, ou de diamants pour un an ; le marchand de blé, de monnaie, ou de diamants, me dit : « Je pourrais pendant cette année vendre avantageusement ma monnaie, mon blé, mes diamants. Évaluons à quatre, à cinq, à six pour cent, selon l’usage du pays, ce que vous me faites perdre. Vous me rendrez, par exemple, au bout de l’année vingt et un karats de diamants pour vingt que je vous prête, vingt et un sacs de blé pour vingt, vingt et un mille écus pour vingt mille écus : voilà l’intérêt. Il est établi chez toutes les nations par la loi naturelle ; le taux dépend de la loi particulière du pays[2]. À Rome on prête sur gages à deux et demi pour cent suivant la loi, et on vend vos gages si vous ne payez pas au temps marqué. Je ne prête point sur gages, et je ne demande que l’intérêt usité en Hollande. Si j’étais à la Chine, je vous demanderais l’intérêt en usage à Macao et à Kanton. »

2o Pendant qu’on fait ce marché à Amsterdam, arrive de Saint-Magloire un janséniste (et le fait est très-vrai, il s’appelait l’abbé des Issarts) ; ce janséniste dit au négociant hollandais :

« Prenez garde, vous vous damnez ; l’argent ne peut produire de l’argent, nummus nummum non parit. Il n’est permis de recevoir l’intérêt de son argent que lorsqu’on veut bien perdre le fonds. Le moyen d’être sauvé est de faire un contrat avec monsieur ; et pour vingt mille écus que vous ne reverrez jamais, vous et vos hoirs recevrez pendant toute l’éternité mille écus par an.

— Vous faites le plaisant, répond le Hollandais ; vous me proposez là une usure qui est tout juste un infini du premier ordre.

  1. Livre XXII, chapitre xix. (Note de Voltaire.)
  2. Le taux de l’intérêt doit être libre, et la loi n’est en droit de le fixer que dans le cas où il n’a pas été déterminé par une convention. (K.)