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INQUISITION.

Paramo raconte ensuite qu’il a vu, dans la bibliothèque de Saint-Laurent, à l’Escurial, un écrit de la propre main de Saavedra, par lequel ce fripon explique en détail qu’ayant fabriqué une fausse bulle, il fit son entrée à Séville en qualité de légat, avec un cortége de cent vingt-six domestiques ; qu’il tira treize mille ducats des héritiers d’un riche seigneur du pays pendant les vingt jours qu’il y demeura dans le palais de l’archevêque, en produisant une obligation contrefaite de pareille somme que ce seigneur reconnaissait avoir empruntée du légat pendant son séjour à Rome ; et qu’enfin, arrivé à Badajoz, le roi Jean III, auquel il fit présenter de fausses lettres du pape, lui permit d’établir des tribunaux de l’Inquisition dans les principales villes du royaume[1].

Ces tribunaux commencèrent tout de suite à exercer leur juridiction, et il se fit un grand nombre de condamnations et d’exécutions d’hérétiques relaps, et des absolutions d’hérétiques pénitents. Six mois s’étaient ainsi passés lorsqu’on reconnut la vérité de ce mot de l’Évangile[2] : « Il n’y a rien de caché qui ne se découvre. » Le marquis de Villeneuve de Barcarotta, seigneur espagnol, secondé par le gouverneur de Mora, enleva le fourbe, et le conduisit à Madrid. On le fit comparaître par-devant Jean de Tavera, archevêque de Tolède. Ce prélat, étonné de tout ce qu’il apprit de la fourberie et de l’adresse du faux légat, envoya toutes les pièces du procès au pape Paul III, aussi bien que les actes des inquisitions que Saavedra avait établies, et par lesquels il paraissait qu’on avait condamné et jugé déjà un grand nombre d’hérétiques, et que ce fourbe avait extorqué plus de trois cent mille ducats.

Le pape ne put s’empêcher de reconnaître dans tout cela le doigt de Dieu et un miracle de sa providence : aussi forma-t-il la congrégation de ce tribunal sous le nom de Saint-Office, en 1545 ; et Sixte V la confirma en 1588.

Tous les auteurs sont d’accord avec Paramo sur cet établissement de l’Inquisition en Portugal ; le seul Antoine de Souza, dans ses Aphorismes des inquisiteurs, révoque en doute l’histoire de Saavedra, sous prétexte qu’il a fort bien pu s’accuser lui-même sans être coupable, en considération de la gloire qui devait lui en revenir, et dans l’espérance de vivre dans la mémoire

  1. Voyez ci-après, page 487.
  2. Matth., chapitre x, v. 26 ; Marc, chapitre iv, v. 22; Luc, chapitre viii, v. 17. (Note de Voltaire.)