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EUCHARISTIE.

en recevant Dieu, assassinent les Médicis dans la cathédrale. Le pape Alexandre VI, au sortir du lit de sa fille bâtarde, donne Dieu à son bâtard César Borgia ; et tous deux font périr par la corde, par le poison, par le fer, quiconque possède deux arpents de terre à leur bienséance.

Jules II fait et mange Dieu ; mais, la cuirasse sur le dos et le casque en tête, il se souille de sang et de carnage. Léon X tient Dieu dans son estomac, ses maîtresses dans ses bras, et l’argent extorqué par les indulgences dans ses coffres et dans ceux de sa sœur.

Troll, archevêque d’Upsal, fait égorger sous ses yeux les sénateurs de Suède, une bulle du pape à la main. Van Galen, évêque de Munster, fait la guerre à tous ses voisins, et devient fameux par ses rapines.

L’abbé N...[1] est plein de Dieu, ne parle que de Dieu, donne à Dieu toutes les femmes, ou imbéciles, ou folles, qu’il peut diriger, et vole l’argent de ses pénitents.

Que conclure de ces contradictions ? que tous ces gens-là n’ont pas cru véritablement en Dieu ; qu’ils ont encore moins cru qu’ils eussent mangé le corps de Dieu et bu son sang ; qu’ils n’ont jamais imaginé avoir Dieu dans leur estomac ; que s’ils l’avaient cru fermement, ils n’auraient jamais commis aucun de ces crimes réfléchis ; qu’en un mot, le remède le plus fort contre les atrocités des hommes a été le plus inefficace. Plus l’idée en était sublime, plus elle a été rejetée en secret par la malice humaine.

Non-seulement tous nos grands criminels qui ont gouverné, et ceux qui ont voulu extorquer une petite part au gouvernement, en sous-ordre, n’ont pas cru qu’ils recevaient Dieu dans leurs entrailles, mais ils n’ont pas cru réellement en Dieu ; du moins ils en ont entièrement effacé l’idée de leur tête. Leur mépris pour le sacrement qu’ils faisaient et qu’ils conféraient a été porté jusqu’au mépris de Dieu même. Quelle est donc la ressource qui nous reste contre la déprédation, l’insolence, la violence, la calomnie, la persécution ? De bien persuader l’existence de Dieu au puissant qui opprime le faible. Il ne rira pas du moins de cette opinion ; et s’il n’a pas cru que Dieu fût dans son estomac, il pourra croire que Dieu est dans toute la nature. Un mystère

  1. Cette lettre N est employée ici d’une manière absolue, et non comme initiale de nom. Les derniers mots de l’alinéa portent à penser que Voltaire a voulu parler de Fantin, dont il a déjà été question au mot Dieu, Dieux, section v, tome XVIII, page 378.