Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
478
INQUISITION.

Le frère Turrecremata appuya cet édit, dans le diocèse de Tolède, par une défense à tous chrétiens, sous peine d’excommunication, de donner quoi que ce soit aux juifs, même des choses les plus nécessaires à la vie.

D’après ces lois, il sortit de la Catalogne, du royaume d’Aragon, de celui de Valence, et des autres pays soumis à la domination de Ferdinand, environ un million de juifs, dont la plupart périrent misérablement ; de sorte qu’ils comparent les maux qu’ils souffrirent en ce temps-là à leurs calamités sous Tite et sous Vespasien. Cette expulsion des juifs causa à tous les rois catholiques une joie incroyable.

Quelques théologiens ont blâmé ces édits du roi d’Espagne ; leurs raisons principales sont qu’on ne doit pas contraindre les infidèles à embrasser la foi de Jésus-Christ, et que ces violences sont la honte de notre religion.

Mais ces arguments sont bien faibles, et je soutiens, dit Paramo, que l’édit est pieux, juste et louable, la violence par laquelle on exige des juifs qu’ils se convertissent n’étant pas une violence absolue, mais conditionnelle, puisqu’ils pouvaient s’y soustraire en quittant leur patrie. D’ailleurs ils pouvaient gâter les juifs nouvellement convertis, et les chrétiens même ; or, selon ce que dit saint Paul[1], quelle communication peut-il y avoir entre la justice et l’iniquité, entre la lumière et les ténèbres, entre Jésus-Christ et Bélial ?

Quant à la confiscation de leurs biens, rien de plus juste, parce qu’ils les avaient acquis par des usures envers les chrétiens, qui ne faisaient que reprendre ce qu’il leur appartenait.

Enfin, par la mort de notre Seigneur, les juifs sont devenus esclaves ; or tout ce qu’un esclave possède appartient à son maître : ceci soit dit en passant contre les injustes censeurs de la piété, de la justice irrépréhensible et de la sainteté du roi catholique.

À Séville, comme on cherchait à faire un exemple de sévérité sur les juifs, Dieu, qui sait tirer le bien du mal, permit qu’un jeune homme qui attendait une fille vit par les fentes d’une cloison une assemblée de juifs, et qu’il les dénonçât. On se saisit d’un grand nombre de ces malheureux, et on les punit comme ils le méritaient. En vertu de divers édits des rois d’Espagne et des inquisiteurs généraux et particuliers établis dans ce royaume, il y eut aussi en fort peu de temps environ deux mille hérétiques brûlés à Séville, et plus de quatre mille, de l’an 1482 jusqu’à 1520.

  1. II. Corinth., chapitre vi, v. 14 et 15. (Note de Voltaire.)