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INNOCENTS.

pas incompatible avec le caractère d’Hérode ; qu’à la vérité, ayant été confirmé roi de Judée par Auguste, il ne pouvait rien craindre d’un enfant né de parents obscurs et pauvres, dans un petit village ; mais qu’étant attaqué alors de la maladie dont il mourut, il pouvait avoir le sang tellement corrompu qu’il en eût perdu la raison et l’humanité ; qu’enfin tous ces événements incompréhensibles, qui préparaient des mystères plus incompréhensibles, étaient dirigés par une Providence impénétrable.

On objecte que l’historien Josèphe, presque contemporain, et qui a raconté toutes les cruautés d’Hérode, n’a pourtant pas plus parlé du massacre des petits enfants que de l’étoile des trois rois ; que ni Philon le Juif, ni aucun autre Juif, ni aucun Romain, n’en ont rien dit ; que même trois évangélistes ont gardé un profond silence sur ces objets importants. On répond que saint Matthieu les a annoncés, et que le témoignage d’un homme inspiré est plus fort que le silence de toute la terre.

Les censeurs ne se sont pas rendus ; ils ont osé reprendre saint Matthieu lui-même sur ce qu’il dit que ces enfants furent massacrés « afin que les paroles de Jérémie fussent accomplies. Une voix s’est entendue dans Rama, une voix de pleurs et de gémissements, Rachel pleurant ses fils, et ne se consolant point, parce qu’ils ne sont plus ».

Ces paroles historiques, disent-ils, s’étaient accomplies à la lettre dans la tribu de Benjamin, descendante de Rachel, quand Nabuzardan fit périr une partie de cette tribu vers la ville de Rama. Ce n’était pas plus une prédiction, disent-ils, que ne le sont ces mots : « Il sera appelé Nazaréen. Et il vint demeurer dans une ville nommée Nazareth, afin que s’accomplît ce qui a été dit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen ». Ils triomphent de ce que ces mots ne se trouvent dans aucun prophète, de même qu’ils triomphent de ce que Rachel pleurant les Benjamites dans Rama n’a aucun rapport avec les massacres des innocents sous Hérode.

Ils osent prétendre que ces deux allusions, étant visiblement fausses, sont une preuve manifeste de la fausseté de cette histoire ; ils concluent qu’il n’y eut ni massacre des enfants, ni étoile nouvelle, ni voyage des trois rois.

Ils vont bien plus loin : ils croient trouver une contradiction aussi grande entre le récit de saint Matthieu et celui de saint Luc, qu’entre les deux généalogies rapportées par eux[1]. Saint Matthieu

  1. Voyez l’article Contradictions.