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EUCHARISTIE.


Leurs prédicateurs dans les chaires, leurs savants dans leurs livres, les peuples dans leurs discours, repètent sans cesse que Jésus-Christ ne prit point son corps avec ses deux mains pour le faire manger à ses apôtres ; qu’un corps ne peut être en cent mille endroits à la fois, dans du pain et dans un calice ; que du pain qu’on rend en excréments, et du vin qu’on rend en urine, ne peuvent être le Dieu formateur de l’univers ; que ce dogme peut exposer la religion chrétienne à la dérision des plus simples, au mépris et à l’exécration du reste du genre humain.

C’est là ce que disent les Tillotson, les Smalridge, les Turretin, les Claude, les Daillé, les Amyrault, les Mestrezat, les Dumoulin, les Blondel, et la foule innombrable des réformateurs du xvie siècle ; tandis que le mahométan, paisible maître de l’Afrique, de la plus belle partie de l’Europe et de l’Asie, rit avec dédain de nos disputes, et que le reste de la terre les ignore.

Encore une fois, je ne controverse point ; je crois d’une foi vive tout ce que la religion catholique apostolique enseigne sur l’eucharistie, sans y comprendre un seul mot.

Voici mon seul objet. Il s’agit de mettre aux crimes le plus grand frein possible. Les stoïciens disaient qu’ils portaient Dieu dans leur cœur ; ce sont les expressions de Marc-Aurèle et d’Épictète, les plus vertueux de tous les hommes, et qui étaient, si on ose le dire, des dieux sur la terre. Ils entendaient par ces mots : « Je porte Dieu dans moi, » la partie de l’âme divine, universelle, qui anime toutes les intelligences.

La religion catholique va plus loin ; elle dit aux hommes : Vous aurez physiquement dans vous ce que les stoïciens avaient métaphysiquement. Ne vous informez pas de ce que je vous donne à manger et à boire, ou à manger simplement. Croyez seulement que c’est Dieu que je vous donne ; il est dans votre estomac. Votre cœur le souillera-t-il par des injustices, par des turpitudes ? Voilà donc des hommes qui reçoivent Dieu dans eux, au milieu d’une cérémonie auguste, à la lueur de cent cierges, après une musique qui a enchanté leurs sens, au pied d’un autel brillant d’or. L’imagination est subjuguée, l’âme est saisie et attendrie. On respire à peine, on est détaché de tout lien terrestre, on est uni avec Dieu, il est dans notre chair et dans notre sang. Qui osera, qui pourra commettre après cela une seule faute, en recevoir seulement la pensée ? Il était impossible, sans doute, d’imaginer un mystère qui retînt plus fortement les hommes dans la vertu.

Cependant Louis XI, en recevant Dieu dans lui, empoisonne son frère ; l’archevêque de Florence, en faisant Dieu, et les Pazzi,