Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
467
467
INITIATION.

Aujourd’hui même encore nos pauvres francs-maçons jurent de ne point parler de leurs mystères. Ces mystères sont bien plats, mais on ne se parjure presque jamais.

Diagoras fut proscrit par les Athéniens pour avoir fait de l’hymne secrète d’Orphée un sujet de conversation[1]. Aristote nous apprend qu’Eschyle risqua d’être déchiré par le peuple, ou du moins bien battu, pour avoir donné dans une de ses pièces quelque idée de ces mêmes mystères auxquels alors presque tout le monde était initié.

Il paraît qu’Alexandre ne faisait pas grand cas de ces facéties révérées ; elles sont fort sujettes à être méprisées par les héros. Il révéla le secret à sa mère Olympias, mais il lui recommanda de n’en rien dire : tant la superstition enchaîne jusqu’aux héros mêmes !

« On frappe dans la ville de Busiris, dit Hérodote[2], les hommes et les femmes après le sacrifice ; mais de dire où on les frappe, c’est ce qui ne m’est pas permis. » Il le fait pourtant assez entendre.

Je crois voir une description des mystères de Cérès-Éleusine dans le poëme de Claudien, du Rapt de Proserpine, beaucoup plus que dans le sixième livre de l’Énéide. Virgile vivait sous un prince qui joignait à toutes ses méchancetés celle de vouloir passer pour dévot, qui était probablement initié lui-même pour en imposer au peuple, et qui n’aurait pas toléré cette prétendue profanation. Vous voyez qu’Horace, son favori, regarde cette révélation comme un sacrilége :

. . . . Vetabo qui Cereris sacrum
Vulgarit arcanæ, sub iisdem

Sit trabibus, fragilemve mecum
Solvat phaselum

(Liv. III, od. ii, 26 et suiv.)

Je me garderai bien de loger sous mes toits
Celui qui de Cérès a trahi les mystères.

D’ailleurs la sibylle de Cumes, et cette descente aux enfers, imitée d’Homère beaucoup moins qu’embellie, et la belle prédiction des destins des Césars et de l’empire romain, n’ont aucun rapport aux fables de Cérès, de Proserpine et de Triptolème. Ainsi

  1. Suidas, Athenagoras, J. Meursii Eleusinia. (Note de Voltaire.)
  2. Hérodote, livre II, chapitre lxi. (W.)