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INFINI.

le papier par une règle de routine, mais sûre, dans laquelle il ne voit jamais la vérité qu’il cherche qu’après le résultat, et comme un homme qui y est arrivé les yeux fermés ; voilà à peu près la différence qui est entre un géomètre sans calcul, qui considère des figures et voit leurs rapports, et un algébriste qui cherche ces rapports par des opérations qui ne parlent point à l’esprit. Mais on ne peut aller loin avec la première méthode : elle est peut-être réservée pour des êtres supérieurs à nous. Il nous faut des secours qui aident et qui prouvent notre faiblesse. À mesure que la géométrie s’est étendue, il a fallu plus de ces secours.

Harriot, anglais, Viette, poitevin, et surtout le fameux Descartes, employèrent les signes, les lettres. Descartes soumit les courbes à l’algèbre, et réduisit tout en équations algébriques.

Du temps de Descartes, Cavallero, religieux d’un ordre des Jésuates qui ne subsiste plus, donna au public, en 1635, la Géométrie des indivisibles : géométrie toute nouvelle, dans laquelle les plans sont composés d’une infinité de lignes, et les solides d’une infinité de plans. Il est vrai qu’il n’osait pas plus prononcer le mot d’infini en mathématiques que Descartes en physique ; ils se servaient l’un et l’autre du terme adouci d’indéfini. Cependant Roberval, en France, avait les mêmes idées, et il y avait alors à Bruges un jésuite qui marchait à pas de géant dans cette carrière par un chemin différent. C’était Grégoire de Saint-Vincent, qui, en prenant pour but une erreur, et croyant avoir trouvé la quadrature du cercle, trouva en effet des choses admirables. Il réduisit l’infini même à des rapports finis ; il connut l’infini en petit et en grand. Mais ces recherches étaient noyées dans trois in-folio : elles manquaient de méthode ; et, qui pis est, une erreur palpable qui terminait le livre nuisait à toutes les vérités qu’il contenait.

On cherchait toujours à carrer des courbes. Descartes se servait des tangentes ; Fermat, conseiller de Toulouse, employait sa règle de maximis et minimis, règle qui méritait plus de justice que Descartes ne lui en rendit. Wallis, anglais, en 1655, donna hardiment l’Arithmétique des infinis, et des suites infinies en nombre.

Milord Brounker se servit de cette suite pour carrer une hyperbole. Mercator de Holstein eut grande part à cette invention ; mais il s’agissait de faire sur toutes les courbes ce que le lord Brounker avait si heureusement tenté. On cherchait une méthode générale d’assujettir l’infini à l’algèbre, comme Descartes y avait assujetti le fini : c’est cette méthode que trouva Newton à l’âge de vingt-trois ans, aussi admirable en cela que notre jeune M. Clairaut, qui, à